Élise et Lise, un conte sans fée. C’est le titre complet du dernier roman de Philippe Annocque, paru le 17 février dernier aux éditions Quidam. Un conte donc, mais bien loin des rayons de littérature jeunesse.
Après une petite recherche sur internet sur le rôle des contes, j’ai trouvé un grand nombre de dossiers pédagogiques, sur des blogs enseignants et des sites institutionnels d’académies. Il y est question du caractère dit universel et de l’intérêt éducatif, voire thérapeutique du genre.
Alors, que veut raconter Philippe Annocque, professeur et écrivain, professionnel de l’éducation donc et conteur pour adulte? Donner une leçon? Dépouiller l’universel de ses vêtements? Soigner, éduquer son lecteur?
« Quand on lit un conte, dit Sarah, on lit une histoire et on a l’impression que l’histoire raconte autre chose que ce qu’elle raconte »
Alors voilà, c’est l’histoire de jeunes et jolies filles, à l’heure de l’autonomie et des premières amours. L’histoire d’une amitié en forme d’évidence, fusionnelle, coulant de source pourrait-on dire. Une histoire simple, à fort potentiel rose bonbon, comme l’illustre habilement la couverture du livre. Mais dès les premières lignes, un ressenti primal, un malaise. Car Élise et Lise est aussi l’histoire de peurs ancrées, profondes, une friandise pour inconscient collectif à la sauce psychiatrique.
Sous un vernis de trivialités, l’histoire d’une prédation, au sens animal, sans bien ni mal. Des airs de thriller psychologique feutré, une variation sur le thème de la folie. Folie des personnages, folie des temps aussi, peut-être, à travers ces deux jeunes filles « modèles » dont on se demande qui elles sont.
Dans Élise et Lise, l’identité se perd, se donne, se vole tout à la fois, se porte comme un vêtement. De vêtements il est question dès le premier chapitre. Un haut à bretelles puis un pyjama et un maillot de bain, des habits partout, tout le temps. Mais aucune frivolité. Si l’enfer se cache dans les détails, dans ce livre l’identité niche dans les plis de vêtements, comme autant de prothèses d’âme labellisées Kookaï, H&M, Zara etc. Quand le moi-peau fait défaut, être fait de l’habit de l’autre, contenus-contenants sur coquilles vides.
Dans le dictionnaire Le Larousse, l’identité est définie comme le caractère de deux êtres ou choses qui ne sont que deux aspects divers d’une réalité unique, qui ne constituent qu’un seul et même être.
Mais aussi: caractère permanent et fondamental de quelqu’un, d’un groupe, qui fait son individualité, sa singularité.
L’identité c’est ne faire qu’un donc, mais à combien?
Philippe Annocque sait ce qu’il fait. Combien est-il d’ailleurs ? Jouant au fil de son œuvre avec la question identitaire jusque dans la position de l’auteur, le voilà marionnettiste et poinçonneur de papier à musique, composant une partition subtile et millimétrée du trouble.
Pour ce faire, il s’attaque donc au conte, joue et se joue du genre, le décortique. A partir de la Morphologie du conte de Vladimir Propp, Annocque déroule son histoire presque comme une illustration, pour l’exemple.
Sarah, la témoin, l’amie de loin, étudie deux contes, variantes de la même histoire, Les trois nains de la forêt des frères Grimm et Les fées de Perrault, père ou fils? Des auteurs déjà doubles, supposés ou avérés. L’étudiante les désosse, point par point, au fil de l’histoire, soulignant au plus près l’intrigue.
“Les fausses fiancées sont des usurpatrices. Elles jouent un double jeu, un double je jusqu’à la fin quand elles font mine de vouloir entrer dans les bonnes grâces de Cendrillon. C’est alors que les colombes leur rendront service de leur crever un œil à chacune. Ainsi elles ne verront plus double”
Les chapitres sont très courts, ciselés, chacun offrant un point de vue. Celui de Lise, Sarah, Élise parfois, « elle était l’héroïne et c’était d’elle qu’on parle le moins » et Luc, le petit copain. S’il fallait résumer les personnages, on pourrait dire qu’Élise est, que Lise élit Élise, que Luc est un peu culcul mais à un beau cul et que Sarah…conte.
Philippe Annocque ne laisse tellement rien au hasard que même mes mots viennent de lui!
L’écriture est au plus près du propos, infiniment précis, même s’il est volontairement flouté, et minutieusement articulé. La maitrise stylistique est telle qu’on ne peut s’empêcher de s’arrêter sur les mots. Mais la lecture n’en est pas perturbée, cela fait partie du jeu. L’exercice de style, de genre, est parfaitement exécuté.
La simplicité de l’intrigue est volontairement trompeuse, chaque mot est à sa place, pèse de tout son sens, du néocortex au cerveau reptilien, toujours plus loin dans l’angoisse de dépersonnalisation, mais sans emphase et sans franchir le seuil du glauque. Un conte quoi, qui sous ses airs d’histoire dit les hommes et les peurs dont ils sont faits.
Alors que voulait-il, l’auteur un et multiple? Donner une leçon de genre comme un jeu, offrir une incursion dans l’universel et ses vêtements, il y a bien de cela dans ce roman. Si les jeunes filles d’Élise et Lise ne sont pas si modèles, Philippe Annocque l’est dans son genre et c’est réjouissant.
Teddy a chroniqué Pas Liev, précédent roman fort réussi de l’auteur, vous pouvez retrouver l’article ici.
Éditions Quidam
136 pages
Héloïse