« Depuis la rive est de la Brune, jusqu’aux berges de la Gorce, qui délimitent la frontièreavec Bourre, la Haute-brune vit à l’ombre d’une vaste forêt de feuillus centenaires. Les brunides l’appellent la forêt de Vaux, bien que ces bois recouvrent également l’essentiel des cantons de Couvre-col, jusqu’aux pieds granitiques des monts cornus. Il s’agit d’une forêt véritablement ancienne, où les troncs noueux et les racines torturées jaillissent de la mousse épaisse comme des jardins de statues végétales. En été, l’ombre est si dense que la réverbération du soleil sur les routes de glaise y est presque aveuglante, et en certains endroits on peut marcher de nuit sans craindre de chuter tant l’air est saturé par le vol des lucioles. »
Parfois, il peut nous sembler que la Fantasy se repose un peu sur les grandes sagas des débuts (Tolkien, Howard, Eddings…) et ne se renouvelle peut être pas assez. Ici c’est loin d’être le cas. Dans « L’enfant de poussière », on trouve du George Martin et du Robin Hobb mais il y a aussi une saveur relativement nouvelle, de liberté et de vent frais qui souffle sur une œuvre hors du commun.
Dans les primeautés de Brune, l’ordre politique actuel est en train de vaciller. Depuis la mort du roi, des complots s’ourdissent dans l’ombre. Syffe, un jeune orphelin vivant à proximité de la frontière, n’en a cure. Sa vie se résume à gagner quelques sous en effectuant de menues corvées et à jouer avec Cardou, Merle et Brindille, d’autres orphelins comme lui logés chez la veuve Tarron. Lorsqu’il se fait attraper pour un vol, et traîner devant la justice, Syffe voit son destin basculer. Commence alors pour lui une vie mouvementée, d’aventures et de rebondissements.
“L’enfant de poussière” n’est pas un premier roman, mais une première incursion dans la fantasy. Auparavant, Patrick K. Dewdney avait déjà publié de la poésie : Neva, et Perséphone lunaire, et du roman noir : Crocs, et Ecumes qui reçu le prix Virilo 20107 à la manufacture de livres. “L’enfant de poussière” se nourrit de ces écritures précédentes. Le style est alerte, travaillé et poétique, et sait se faire pesant et poisseux quand il le faut. Le ton, et les sujets traités sont eux, empreint des préoccupations sociales du roman noir. En effet, au contraire d’un grand nombre de saga de fantasy, “L’enfant de poussière” n’est pas seulement une gigantesque épopée, mais aussi un manifeste pour un autre monde. La construction d’un monde est prétexte à repenser le notre, et l’auteur ne s’en prive pas.
« Ainsi nous, les orphelins de la ferme Tarron , étions de fait – en grande partie- livrés à nous même.Nous comprenions n’avoir rien en commun avec la plupart des autres enfants de Corne-Brune, et guère plus avec ceux de la Cuvette. Je dirais que nous avions endossé trop tôt la responsabilité de petits adultes. Le monde n’avait jamais été à nos yeux une instance figée et confortable, mais une entité chaotique qu’il fallait dompter un jour à la fois. Nous savions que la seule chose sur laquelle nous pouvions compter, c’était un bol tardif de soupe de rave, et nous savions également que la plupart des enfants pouvaient compter sur davantage que cela. »
Syffe est un orphelin ignorant tout de ses origines, sauf qu’il est étranger, ce que tout le monde lui répète constamment. Syffe est d’ailleurs le nom de son peuple, car personne n’a pris le temps de le nommer autrement. Très proche des clans de la cuvette, il partage régulièrement leur existence et est témoins des violences qui leurs sont faites. Surd’Nahir, son maître, vient de Jharra, une ville lointaine. Lui aussi est traité en étranger, mais trouve un réconfort dans la religion. Religion qui sera moquée et tournée en ridicule par Uldrick, le guerrier-var, un libre penseur dont le peuple se veut libre. Ces derniers refusent de se plier devant des dieux qu’ils ne voient pas, préférant leurs opposer un rationalisme et une droiture à toute épreuve.
Des thèmes forts et traités avec profondeur, pour un roman dont la pensée libertaire nous rappelle “Chronique d’un rêve enclavé”, un autre incroyable roman de fantasy publié au diable vauvert.
Les deux jours suivants passèrent bien plus rapidement que je ne l’aurais souhaité, esquissant à peine le préambule d’un univers que je soupçonnais fascinant. A contempler la chose avec recul, si maître Nahirsipal avait été philosophe, historien ou même simple scribe, j’aurais certainement épousé ses sermons avec la même ferveur. Mon esprit à huit ans était un jeune loup en quête de subsistance, et cette faim était devenue tiraillante au cours de l’année qui venait de s’écouler, un appétit insaisissable mais profond. Cette porte qui s’entrouvrait, cette mince fente que me faisait miroiter le maître chirurgien, j’y avais enfoncé le museau à m’en faire saigner, buvant avec passion les humeurs alléchantes qui laissaient présager du festin à venir.
Au delà de thèmes dit «politique », « L’enfant de poussière » est aussi un roman profondément humain. Syffe, encore enfant, construit une relation d’amitié saine et belle avec la jeune nomade Driche quand sa relation sera plus trouble avec Hesse, la première lame qui le sauve de la mort deux fois. Elle est au contraire colérique et pleine d’incompréhension avec Uldrick, le guerrier qui le formera à la vie des Vars. Comme souvent en Fantasy, le cycle de Syffe est un roman d’apprentissage. Saga prévu en sept tomes, nous le suivons ici dans sa jeunesse passant de mentor en mentor. Quand certain lui apprendrons les sciences, ou bien la lecture, d’autres le mèneront sur les chemins chaotiques de la vie. Patrick Dewdney ne tombe pas dans le piège facile de faire un personnage enfantin simplet ou déjà adulte. Son caractère est changeant, parfois plus mature qu’on ne l’attends, et parfois non, le rendant profond et attachant.
L’enfant de poussière, c’est l’enfant taillé par la vie, les pertes et les trahisons, et qui petit à petit perd de lui même pour se transformer en adulte. Et Patrick Dewdney nous décrit ça de manière particulièrement belle et touchante.
L’enfant de poussière appartient à ce genre de fantasy relativement réaliste, presque de la fiction historique d’un autre monde. Ici, pas de dragon ni apparemment de magie mais des races humanoïdes aux coutumes variées. Entre les guerriers vars, mercenaires à l’éthique proverbiale et les clans de la cuvette, commerçants nomades vivant du produit de leurs chasses et de leur artisanat, l’éventail est large. L’univers et les conditions de vies sont cohérentes. L’intrigue est crédible, et reste à dimension humaine. Mais pour autant, l’auteur ne se coupe pas tout à fait de la possibilité de renouer avec la fantasy, en laissant planer des zones d’ombres dont on attend l’explication avec impatience.
Une belle saga de fantasy qui s’annonce importante dans le paysage littéraire français, d’un écrivain jeune et pourtant déjà largement confirmé, qui nous entraîne dans son univers poétique et dense.
L’enfant de poussière
Le Cycle de Syffe t.1
Patrick K. Dewdney
Au diable Vauvert
619 p.
Merci de cette belle critique. Ça donne envie de le lire. Je précise que j’ai assisté à la remise des Pépites à Montreuil et que l’auteur (très jeune en effet) n’a pas hésité à prendre la parole contre la présence de McDo au Salon de Montreuil. Un très beau texte qu’il a eu la bonne idée de publier sur sa page facebook.