« Il est rare que la réalité coïncide parfaitement avec l’idée que l’on s’en fait. »
Dans le dernier roman de Philippe Annocque, page 56, cette phrase est lâchée innocemment par le narrateur. Un constat sur l’absence d’information de ses élèves et, dès lors l’impossibilité d’établir des exercices scolaires adaptés à leurs niveaux. Mais cette petite phrase, écrite comme ça au milieu du récit, peut-elle à elle seule résumer l’histoire de « Pas Liev » ?
Liev se rend à Kosko afin de devenir précepteur. Des enfants qui seront très vite à sa charge au quotidien. Mais dès son arrivée, en attendant celle des enfants, il se retrouve dans un petit bureau, ou plutôt une salle vide avec une table et une fenêtre, à recopier des factures dans un cahier pour M.Hakkell. Une rencontre avec Mademoiselle Sonia va donner lieu, après une balade en vélo, à l’éventualité de fiançailles et Magda, la servante/gouvernante de Mademoiselle Sonia va très bien s’occuper de Liev pendant son absence. Mais les jours se ressemblent et diffèrent et les souvenirs se mêlent et se remodèlent.
L’auteur de « Rien (qu’une affaire de regard) » ou encore de « mémoire des failles » ose la fausse simplicité et l’affirmation du « soi » à travers un narrateur balbutiant, hésitant, ressassant sans cesse ses souvenirs immédiats, les remodelant ou même les déformant jusqu’à quasiment oser la schizophrénie sur certains évènements. Liev se perd petit à petit dans ses souvenirs d’un réel et les autres fabriqués, le lecteur suit sa descente dans les limbes mnémoniques qui semblent progressivement créer des couches pour l’éloigner d’une certaine réalité.
« C’était plus tard, un autre jour, le lendemain peut-être. Monsieur Hakkell se faisait attendre. Lieve était assis dans la salle commune. C’était là qu’il prenait ses repas. On lui avait dit de prendre ses repas là. Pour le moment, Magda était assise à califourchon sur ses genoux, face à lui, et à chacun de ses mouvements Lieve voyait par en dessous son grand nez osseux qui s’éloignait et se rapprochait en cadence de son visage à lui, son grand nez dur et creux comme la partie de lui-même, dure et enserrée dans le creux dur et osseux que Magda qui regardait quelque part vers le mur en face, c’était difficile de regarder autre chose que le visage de Magda et ses narines longues par en dessous car de par et d’autre de son visage à lui il y avait les bras de Magda qui se tenait tantôt à ses épaules, tantôt au dossier du fauteuil. »
Un texte court au final en apothéose, une écriture beaucoup plus complexe et subtile que l’on pourrait le croire. La narration se joue de nous et offre à plusieurs reprises des scènes totalement surréalistes. Un talent indéniable pour raconter une histoire qui questionnera le lecteur. Philippe Annocque continue, petit à petit, pierre après pierre, à créer un univers fascinant et obsessionnel qui absorbe ses lecteurs et les transforme à chaque nouvelle publication.
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