Le verger de marbre d’Alex Taylor fait la rentrée en néo-noir chez Gallmeister.
Si vous êtes lecteur blasé ou tout simplement taquin vous pourriez vous dire qu’on le connaît le coup du gars sans histoires qui se met à dos le parrain local et prend la fuite pour se retrouver à compter les morts sur son passage. “C’est tellement américain !” Ajouteriez-vous peut-être et “y a plus d’imagination ma bonne dame!” Comme vous êtes…
Avant d’essayer de vous convaincre de tenter le détour, il faut bien l’avouer c’est bien de cela qu’il s’agit. Une bonne vieille histoire de grands méchants et d’innocence perdue ! Beam, le héros, est un jeune gars de quelque part dans le Kentucky, dont les perspectives d’avenir se situent entre les deux rives de la Gasping river. Son père gère le ferry et Beam assure lui-même parfois les traversées. C’est ainsi qu’une nuit, le pauvre garçon tue l’homme qui voulait lui voler sa caisse. De quoi avoir des ennuis en soi mais l’homme en question est le fils de Loat Duncan, le féroce caïd du coin. Beam est aussitôt chassé par son père, qui sait le sort qui lui sera réservé quand Loat comprendra ce qui est arrivé. À partir de là, il va vite y avoir de quoi le remplir, ce verger de marbre ! “Comme par hasard !” Vous êtes incorrigibles…
Donc oui, la recette est connue, fameuse quand elle est préparée avec soin, mais écœurante à la longue ? Certains voient dans le « rural noir » une mode éditoriale, façon thrillers nordiques récemment et avant cela portraits sanglants des grandes villes américaines par les auteurs qui y vivent (Pelecanos, Ellroy, Price, Lehane…). Je ne les contredirai pas, mais je veux croire que la qualité finit toujours par faire le tri et qu’une œuvre peut s’épanouir dans une bonne filiation. Et qu’elle meilleur endroit qu’un verger de marbre pour en trouver. On pense à Woodrell, McCarthy, à Ron Rash dans Le monde à l’endroit à Donald Ray Pollock et à d’autres encore mais je voudrais pas tirer les analogies par les cheveux. Du beau monde ma foi !
De plus, s’il y a bien une qualité qui me paraît constitutive du roman noir, c’est de ne pas prétendre réinventer la littérature à chaque bouquin et au contraire d’affirmer les liens, plus ou moins serrés avec l’histoire du « genre ». Filiation, genre… j’arrête, je voudrais pas prêcher la bonne parole non plus.
Sur l’histoire du présent roman, difficile d’en dire beaucoup plus sans aller à la faute. La chasse à l’homme constitue une partie importante de l’intrigue mais à travers-elle, au-delà même, c’est tout un passé qui se règle dans le sang.
Le livre commence tout doux, l’intrigue démarre réellement quand Beam se met en mouvement et l’écriture, son rythme, suit au plus près ses péripéties. On ne s’attarde pas des heures sur les personnages, aussi féroces, brisés, excentriques soient-ils, tous sont étrangement crédibles, du tenancier de bar manchot, au routier flippant en passant pas le vieux samaritain. Les dialogues, et c’est notable, ne font pas croire qu’un philosophe est en train de s’adresser à un poète, on est dans la cambrousse et on dit ce que l’on a à dire, comme c’est agréable ! Non pas que l’auteur se complaise dans des clichés de ruralité rustre et peu éduquées, c’est tellement plus subtil. Les personnages sont aussi complexes qu’un humain puisse l’être, leur psychologie se dessine par petites touches habiles, précises, sans besoin d’en tapisser l’intrigue, le sang le fait déjà très bien.
De poésie, le roman ne manque pas, sans ostentation aucune, entre des scènes de tension et de violence simples mais efficaces. La traduction du subtil n’est pas chose aisée pour ce que j’en sais alors saluons le travail d’Anatole Pons qui est pour beaucoup dans l’appréciation de ce conte sans fée.
Inutile de chercher à deviner comment tout cela finira, mal, il n’y a qu’à se laisser porter par les flots de mots et de sang de cette drôle de rivière, Alex Taylor se charge du reste.
Les éditions Gallmeister, dès leur début ont contribué à populariser le noir contemporain, allant dénicher de nouveaux auteurs américains et notamment pas mal de premiers romans de haute tenue, dont celui-ci. L’équipe d’Un dernier livre en a évoqué un certain nombre déjà, à retrouver sur le site.
Le néo-noir américain sélectionné par les acolytes de Gallmeister continue d’écrire l’histoire du genre et avec panache.
Le verger de marbre est disponible depuis le 18 août chez vos libraires.
Le verger de marbre,
Alex Taylor,
Traduit par Anatole Pons,
Editions Gallmeister,
288 pages,
Héloïse.