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Nikos Kazantzaki- Alexis Zorba

 

Alexis Zorba. Si ce titre vous dit quelque chose, c’est sans doute car il s’agit d’un roman grec incontournable du siècle dernier écrit par Nikos Kazantzakis, traduit de nombreuses fois et même adapté au cinéma par Michael Cacoyannis.

Difficile et même impossible de résumer cette oeuvre en quelques mots, car il s’agit d’un véritable trésor littéraire et spirituel. C’est une lecture hors norme comme l’on en rencontre que très rarement et qui marque l’esprit et le coeur, un petit bijou qui fait voyager et réfléchir à chaque phrase.

Un jeune trentenaire décide de tenter sa chance sur les rivages grecs en rouvrant une mine de lignite désaffectée. Plus intellectuel que manuel, il va croiser la route d’Alexis Zorba, personnage haut en couleur dont l’âge n’a affecté ni le corps ni l’esprit. Ces deux compagnons que tout oppose vont devenir inséparables et même complémentaires; d’un côté la « souris papivore », le rat de bibliothèque, et de l’autre l’homme libre, qui vit au jour le jour sans s’embarrasser des questionnements propres à la conscience. Deux représentations oxymores du corps et de l’esprit qui nous entraine dans un ballet grandiose par sa simplicité et son humanité pure.

Alexis Zorba par Nikos Kazantzakis

Chaque passage et dialogue est tout simplement parfait, il n’y a aucun passage à vide et cette lecture nous enveloppe et nous élève en un rien de temps. Tout n’est que réflexion sur les lignes de l’existence terrestre: la vie, la mort, l’amour, la religion, autant de sujets omniprésents qui sont remis en question avec intelligence. On ne peut que s’attacher aux différents protagonistes et encore plus à Zorba, qui est à lui seul l’incarnation même de la joie de vivre, de l’homme fauve primitif qui s’emploie à être heureux à chaque instant sans se poser de question superficielle mais aussi à vivre sa tristesse sans honte quand il le faut. Il mène une existence à la fois simple et intense, buvant, dansant, mangeant, aimant et jouant du santouri selon ses humeurs, jamais en se forçant. La seule chose sur Terre qui lui fait perdre un peu la raison réside dans la gente féminine, ces femmes qu’il voit à la fois comme l’incarnation du diable, des sirènes enchanteresses et des choses fragiles et mystérieuses.

« Escuse-moi patron, dit-il, mais moi je ressemble à mon grand-père, le capétan Alexis, que Dieu ait son âme! A cent ans, il s’asseyait sur le seuil de sa porte pour reluquer les filles qui allaient à la fontaine. Mais sa vue avait baissé, il n’y voyais plus grand chose. Alors il appelait les filles (…) Alors, mon grand-père passait la main sur le visage de la belle et il le palpait doucement, tendrement, avec gourmandise. Et ses yeux laissaient échapper des larmes. Un jour, je lui ai demandé: « Pourquoi tu pleures, grand-père? » Et il m’a répondu: « Comment ne pas pleurer, mon enfant, quand je vais mourrir en laissant derrière moi tant de belles filles? »

Le narrateur, obsédé par Bouddha et par le sens de sa vie et ce qu’il a fait précédemment de son existence, aime se plonger dans les livres, écrire et méditer sur ce qu’il ressent et sur le sens de toute chose. Beaucoup plus réfléchi et cédant plus difficilement à la spontanéité que son compagnon, il est souvent qualifié de « gratte-papier », surnom affectif que lui donne ses amis. Pour lui, Zorba est un rayon de soleil, un homme libéré des préjugés et des bassesses de l’homme, qui vit comme un enfant en ouvrant chaque jour, chaque seconde, son coeur au monde pour en découvrir les merveilles les plus simples. Il tend à être comme ce Simbad le marin, mais est emprisonné par sa conscience et son savoir. A travers lui, nous plongeons dans l’ether de la pensée et dans l’essence pure des religions chrétienne et bouddhiste, mais aussi dans le questionnement de la présence du soi sur terre et surtout celle de la liberté si difficile à atteindre.

« Le rythme cyclique du temps, la course de la roue du monde, les quatre visages de la terre que le soleil éclaire tour à tour, la vie qui s’en va, et nous qui nous nous en allons avec elle, tout cela instilla à nouveau le trouble dans mon coeur. J’entendis à nouveau retentir en moi, avec le cri de la grue, la terrible mise en garde: cette vie est unique pour chacun de nous, il n’y en a pas d’autre, elle passe promptement, et tout ce dont on peut jouir, c’est ici qu’on en jouira. Nulle autre occasion ne nous sera offerte jusqu’à la fin des temps »

Ce livre ne se lit pas, il se savoure et nous nourrit. Il renferme de nombreuses citations plus belles les unes que les autres, et nous fait voyager dans les paysages sauvages de la Grèce mais aussi sur les rivages de la pensée et de la méditation. A lire et à re-lire encore et encore pour apprécier les petites joies de la vie avec simplicité, et peut être devenir un jour comme Zorba.

« – Dis-moi ce que tu fais de ce que tu manges et je te dirai qui tu es. Il y en a qui transforment ça en lard et en ordures, d’autres en travail et bonne humeur, et d’autres, en Dieu, comme j’ai entendu dire. C’est donc qu’il y a trois espèces d’hommes. Moi, je ne suis ni des pires, ni des meilleurs. Je me tiens entre les deux. Ce que je mange, je le transforme en travail et en bonne humeur. C’est pas trop mal!
Il me regarda malicieusement et se mit à rire.
– Toi, patron, dit-il, ce que tu manges, je pense que tu t’efforces à le faire Dieu. Mais tu n’y arrives pas et tu te tortures. Il t’es arrivé la même chose qu’au corbeau.
– Que lui est-il arrivé au corbeau, Zorba?
– Lui, tu vois, avant il marchait honorablement, convenablement, comme un corbeau, quoi. Mais un jour, il s’est mis dans la tête de marcher en se rengorgeant, comme une perdrix. Depuis ce temps-là, le pauvre, il a oublié jusqu’à sa propre démarche, il ne sait plus où il en est, et il sautille. »

Alexis Zorba, image film

Editions Cambourakis
Traduction par René Bouchet

381 pages
Caroline

À propos Caroline

Chroniqueuse

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