Cohen, le héros ordinaire qui nage à contre-courant sous cette masse de nuages denses. Un homme ordinaire qui lutte pour survivre aux démons de l’esprit qui le dévorent ainsi qu’au monde nouveau dans lequel il s’effondre. Un monde en proie au chaos d’une pluie sans fin qui trempe et inonde tout ce qui a été construit de la main de l’homme, revisitant intensément le mythe biblique de l’arche. Il existe bien une frontière, une limite, qui sépare les territoires occupés des terres abandonnées, mais certaines personnes ne parviennent pas à laisser derrière elles tout ce qui constituait leur vie d’autrefois.
Vous la sentez cette liquidité, ce fluide qui transperce tout et brise les rêves. Elle est toujours là, à chaque ligne, sous chaque mot, limpide oppression, insupportable froideur. Michael Farris Smith vous emporte dans ce monde et vous le décrit avec des mots chargés de cette désolation ambiante. Vous aussi, assis dans votre canapé, ressentez parfaitement l’angoissante pluie sombre qui dévaste tout. Cohen s’y accroche pourtant, au simulacre de la vie, à tout ce qui était auparavant sa vie. La femme aimée, son sourire, les souvenirs de leur séjour amoureux dans les rues de Venise et l’enfant qu’elle portait. La préparation de la chambre d’enfant, une maison à agrandir. Mais le bois de la future charpente git dans l’herbe à côté, trempé par l’attente. Élisa hante ses pensées, fantôme au visage d’ange dont il ne peut se passer. Elle n’est plus au monde mais demeure son obsession. Et lorsque deux jeunes ados lui volent sa jeep et saccagent tout chez lui, emportant les vêtements et les bijoux d’Élisa, les choses prennent une toute autre tournure.
« Un torrent ininterrompu charriait sa conviction, tandis que les muscles de sa nuque se crispaient, que ses mains et ses bras ondulaient – car il tordait le serpent telle une serviette mouillée – ,que le besoin de tuer devenait impérieux, qu’il demandait la force et le châtiment de ceux qui doutaient de la voie, ma voie, Ta voie, Seigneur, si électrisé par sa puissance et son pouvoir qu’il ne vit pas la femme se précipiter sur lui et n’eut pas le temps d’échapper à l’emportement de la prière : déjà, il gisait sur le dos, bras et jambes plaqués à terre, son propre revolver contre ses lèvres, baiser-morsure d’une maîtresse ardente. Le serpent s’était enfui. »
Un roman post-apocalyptique rondement mené, à l’écriture rythmée et fluide, très agréable à lire et plutôt addictive ! Les dialogues écorchés laissent surgir les blessures des différents personnages et plus particulièrement celles de Cohen. On entre dans sa tête et à fleur de sa peau, on partage le temps de la lecture l’ensemble de ses peines mais aussi les instants où la joie et l’espoir semblent percer à nouveau. Hormis le genre, la comparaison avec La route s’arrête là, le récit ne prend pas la même voie et c’est pour mieux servir Michael Farris Smith qui signe ici un très prometteur premier roman.
Super 8 Éditions
Trad. Michelle Charrier
439 pages