– Bonjour Paul Beatty, comment est né « Moi contre les Etats-Unis d’Amérique », quelle a été l’idée de départ ?
Il n’y a pas eu qu’une seule source d’inspiration, je voulais surtout réfléchir à cette remarque que l’on entend parfois selon laquelle « Les noirs étaient mieux lotis pendant la ségrégation ou l’esclavage ». Et les zones urbaines pauvres et multiculturelles telles que Compton ou Richmond, en Californie, dont on sent encore les racines agricoles, m’inspiraient, alors j’ai eu envie de prendre pour décor cette incongruité apparente : un quartier agricole en pleine ville. Je voulais aussi évoquer le fait qu’aux Etats-Unis, le débat sur l’esclavage et la ségrégation est déterminé par les appartenances de race. Je voulais me défaire de cette dynamique afro-américain d’un côté, blanc américain de l’autre et appréhender ces sujets de manière plus inclusive. Et puis j’adore la série « The Little Rascals » (série télévisée américaine produite entre 1922 et 1944, connue en France sous le nom « Les Petites Canailles », très présente dans le roman, Ndrl). Bref, tous ces thèmes me trottaient dans la tête et je cherchais une manière de les articuler quand j’ai obtenu une bourse de l’association “Creative Capital” qui m’a contraint à trouver une solution et à me mettre à écrire.
Combien de temps avez-vous passé sur le roman ?
Environ quatre ans, je ne sais jamais vraiment.
Dans l’histoire, presque malgré lui, Bonbon, votre personnage principal, finit par rétablir la ségrégation et l’esclavage. Quelles réactions avez-vous eues aux États-Unis pour votre audace? Les clins d’œil et les références culturelles et/ou historiques abondent dans vos romans et plus particulièrement dans celui-ci. Avez-vous besoin de faire beaucoup de recherches pendant le développement du roman ? Ou est-ce plutôt votre bagage culturel et vos connaissances propres que vous mettez en avant ?
Je ne sais pas comment répondre à cette question. J’étais inquiet quant à la réception du roman. L’idée que les lecteurs sont intelligents me plaît, si bien que j’essaye de faire confiance à mon écriture, et à leur capacité à relever les défis que le livre leur lance. Ce n’est pas une lecture facile pour un certain nombre de raisons. L’accueil des critiques a été bon, et si l’humour permet à beaucoup de lecteurs de ne pas avoir à affronter la douleur, le cynisme et la dystopie du sujet, j’ai aussi été touché de voir combien d’entre eux ont compris les différentes couches émotionnelles et structurelles du récit. J’apprécie quand les gens me disent qu’ils ont adoré le livre, même s’ils ne savent pas comment en parler. Même s’ils sont incapables de le résumer ou de le faire entrer dans une case. Cette incertitude et cette déconfiture que l’on ressent quand on ne sait pas comment aborder un sujet, la vie en général je suppose, est en grande partie ce dont le livre parle. Notre incapacité à construire un discours quand nous n’avons pas les mots justes, ou que nous refusons de croire ce que nous avons sous les yeux. Il y a eu des tonnes de recherches sur le sujet. Certains invitent à écrire sur ce que l’on sait, mais vu que je ne sais pas grand-chose, pour ma part j’écris sur ce que j’aimerais savoir, sur ce que je veux savoir et sur ce que je ne saurai jamais.
Intellectuellement, vos personnages principaux ont l’air d’avoir l’avantage sur les personnages secondaires, ils sont pleins de malice. Pourquoi ce fort contraste ? Est-ce pour vous une manière d’aborder la question du déclin du savoir et de la culture dans notre société actuelle ?
Je ne suis pas d’accord avec cette idée de contraste. Le contraste existe peut-être plutôt avec l’image et l’idée que l’on se fait du Noir américain de sexe masculin, mais les autres personnages sont souvent tout aussi intelligents, novateurs et déstabilisants dans leur approche des choses que mes personnages principaux, sinon plus. En fait, le sujet, c’est de voir comment ces gars apprennent à se forger leurs propres idées, en écoutant, en observant et en appréciant les points de vue uniques de ceux qui les entourent. Par son intelligence et sa vision du monde, le personnage d’Hominy, théoriquement le plus réactionnaire et le plus arriéré de tous, pousse le personnage principal à ouvrir les yeux tant sur lui-même que sur sa communauté. Même chose avec son père et Marpessa, qui le mettent au défi. Lui posent des questions auxquelles il n’a pas de réponses. Lui offrent des motivations qu’il ne veut pas nécessairement faire siennes, mais avec lesquelles il se sent obligé de composer. Il n’est pas question de bien et de mal, mais de comprendre comment s’accommoder de ces influences dont il est imprégné. Je pense que mes personnages s’émerveillent souvent du monde autour d’eux sans être en totale admiration
Quels rapports entretenez-vous avec vos personnages principaux ? Quelle part de vous-mêmes mettez-vous en eux ?
J’écris, c’est tout. Je n’entre pas dans une transe hallucinogène. Je ne joue pas avec des amis imaginaires. J’essaie de mettre de l’effort dans ces livres. De faire en sorte que mon écriture soit unique, et en ce sens-là, c’est moi ; même si j’aimerais bien que ce soit aussi simple.
Pouvez-vous nous parler de vos influences littéraires ? Quels sont les auteurs qui vous ont marqué et donné envie d’écrire ?
Beaucoup trop pour les énumérer tous. Melville. Mingus. Les premiers Morrison. Monet. Monk. Mizoguchi. Pour ne citer que quelques-uns des “M”.
American Prophet, votre premier roman, a été bien accueilli en France lors de sa publication en 2013, dix ans après sa première parution aux Etats-Unis. Vous avez eu quelques commentaires assez élogieux. Qu’en avez-vous pensé ?
Pensé de quoi ? Du livre ? De son accueil en France ? Heureux et satisfait sur les deux plans.
Avez-vous commencé à travailler sur votre prochain roman ? Si oui, pouvez-vous nous en parler un peu ?
J’y réfléchis…
Un immense merci à Nathalie Bru pour sa disponibilité et sa rapidité pour la traduction.