Sur Roche-Nuée vivent deux peuples, celui du Jour qui habite dans les plaines, près du lac, et celui de la Nuit, abrité dans les cavernes au fond de la forêt. Deux peuples auparavant uni, maintenant séparés, mais aux modes de vie identiques. On chasse, on respecte les ancêtres, les femmes mangent les morts et l’on se marie entre frères et sœurs, mère et fils, père et fille. Et l’on jette du haut d’un rocher les enfants nés inaptes, handicapés, attardés. Sauf dans un cas.
Argile, à l’arrivée d’un nouveau-né boiteux et de sexe indéterminable, s’est battu pour qu’on ne le tue pas. L’enfant est resté, paria, ignoré, invisible. Une anomalie dans la vie de Roche-Nuée, une ombre furtive, indésirée.
Ombre, appelons-le ainsi, car qui n’existe pas ne se nomme pas, observe de loin, avec rancœur et parfois un peu d’objectivité, cette société vivre, avec ses coutumes, ses traditions, ses tabous.
Argile, le frère sauveur et tant aimé, croise un jour Tilana, jeune chasseuse du village de la Nuit. Le drame se construit lentement, car elle doit épouser son frère, et lui sa mère, mais leurs rencontres furtives laissent naître des sentiments et des désirs interdits par leurs deux communautés. Ombre, en protecteur invisible va tenter de protéger Argile. Mais son existence dans la communauté va prendre corps et devenir insupportable pour certains. Pourtant son exclusion de la communauté lui a permis de ressentir le monde bien au-delà des êtres humains et des besoins quotidien, et sa connaissances de l’eau, des roches, de la terre, va le conduire vers des découvertes insoupçonnées.
Roche-Nuée est, semble-t-il, une montagne au milieu d’un désert de sel, les Terres Mortes. Est-on dans une société préhistorique ou post-apocalyptique ? Le contexte est dur à définir, et se découvrira au fil des pages et de l’histoire, par petites touches. Ce qui est sûr, c’est que Roche-Nuée nous propose un récit initiatique avec des bonnes bases anthropologiques, et il le fait bien ! Passionnant dans la présentation du monde et des mœurs des peuples, le point de vue d’Ombre, paria et première victime des coutumes, est constamment en réflexion et évolution.
L’ambiance, qui m’a rappelée ma lecture, il y a fort longtemps, de Sa Majesté des mouches, est saisissante au possible, et le développement de l’intrigue pleine de surprise. La réflexion sur l’ethnocentrisme et, de par le personnage d’Ombre, indéfini et indéfinissable, sur la normalité et le bien-fondé des habitudes, leurs origines et leurs rationalités.
Roman très original et intelligent, Roche-Nuée amène une réflexion ma foi fort intéressante et bien menée, des personnages originaux et ambigus à souhait, évitant un manichéisme facile. Une très belle découverte, et un grand bravo aux toutes jeunes éditions Scylla d’avoir réédité ce titre !
Éditions Scylla
205 pages
Traduit par Monique Lebailly
Marcelline