Connais-tu, lectrice, lecteur, Lisa Tuttle ? Si oui tu es un heureux veinard. Si non, tu es un heureux veinard aussi, car comme moi, tu vas avoir la chance de la découvrir !
Romancière et novelliste américaine, Lisa Tuttle a eu une grande influence sur nombre de jeunes auteurs en fantastique, et dans certains mouvements littéraires. Elle a longtemps eu une place de choix dans les revues et anthologies de nouvelles fantastiques et de science-fiction en France, mais le déclin de celles-ci a bien malheureusement failli emmené Lisa Tuttle dans l’oubli…
Heureusement, Dystopia est là !
Deux recueils de nouvelles choisies ont été édités par la petite et formidable maison associative Dystopia, qui fait des recueils de nouvelles et des auteurs phares mais oubliés ou trop peu visibles son cheval de bataille. Celui dont je vais m’empresser de te parler ce jour est le dernier en date.
Les chambres inquiètes est donc un recueil de nouvelles choisies, présentées et traduites par Nathalie Serval. On peut difficilement trouver meilleure accompagnement pour découvrir Lisa Tuttle, car Nathalie Serval a fait ses armes de traductrice sur les histoires de la romancière, qui l’ont toujours suivie depuis. Elle nous fait cadeau dans ce recueil de quatorze nouvelles, morceaux choisis de Tuttle.
« Les oiseaux qui vivent sur la lune ont une tête presque pareille à celle des hommes, mais ils n’ont pas d’oreilles et leur visage inexpressif a l’air étrangement mort. Lourds et lents, ils volent dans la nuit immobile et perchent, solitaires, sur la roche stérile au flanc des cratères. »
Ce sont beaucoup d’histoires de femmes. Et quand elles ne sont pas le personnage principal, elles sont quand même le moteur de l’histoire.
Des femmes artistes, qui ont dû renoncer à la vie formatée (mari, enfants) qui s’offraient à elles pour se consacrer à leur art. Des femmes qui se sont battues pour devenir ce qu’elles rêvaient d’être. Des femmes trompées, humiliées. Des femmes seules, délaissées. Des déesses.
Nous avons Sheila, qui a écrit un roman de science-fiction qui a eu son petit effet et quitté son Texas natal pour s’épanouir à Los Angeles, et qui, de retour dans le Lone-star-state pour une convention en son honneur, voit son passé, ses peurs d’adolescentes, lui tourner autour avant de fondre sur elle.
Ellen, elle, va rendre visite à sa vieille tante qui vit seule dans une grande maison isolée et décrépie. Le comportement étrange de sa tante et le jeune homme inquiétant qui rôde vont vite transformer la visite en un cauchemar sans nom.
Je pourrais vous parler d’Amalie qui voit son mari s’éloigner depuis son retour de la Lune, et qui sent peser sur sa maison et sa famille une menace autrement plus grande que celle d’une éventuelle amante. Car l’astre lunaire ne laisse pas partir les gens comme ça.
Et Sara, qui élève seule ses deux enfants suite à son divorce, cherche du temps pour peindre tout en essayant d’être la meilleure mère possible pour ses petits. Sara qui aperçoit au loin, de l’autre côté du lac qui borde sa maison, une silhouette blanche, menaçante, qui attire irrémédiablement sa progéniture.
Elles sont tant d’autres à essayer d’échapper à la prison qu’elles sont se sont construites, à vouloir concilier leurs désirs et les impératifs imposés par la société. Elles ne peuvent que voir se refermer sur elles, dans un silencieux cri d’angoisse, les griffes des monstres qu’elles pensaient avoir évités.
Féministe engagée, Lisa Tuttle excelle à métaphoriser les dangers qui nous guettent, les contraintes et les rôles dans lesquelles, malgré toutes nos luttes, on se retrouve enfermées. Le dégoût du corps, la nécessité de la vie de famille, le déchirement entre le rôle de la mère et celui de la femme, le viol, l’abandon. Ses héroïnes sont saisissantes, attachantes et l’on s’abîme avec elles dans leur quête, leurs angoisses et leur chute.
Poétique et sombre, c’est un beau cadeau que nous fait là Nathalie Serval, de nous confier brillamment par ses mots, les histoires de Lisa Tuttle.
Ce qu’en dit brillamment Charybde 2 sur Charybde 27
Dystopia Workshop
357 pages
Traduit par Nathalie Serval
Marcelline