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Jonathan Strange & Mr Norrell – Susanna Clarke

Jonathan Strange and Mr Norrell est un roman de Susanna Clarke, publié en 2004.

La raison pour laquelle cette chronique est si tardive réside dans le fait que ce roman est une véritable brique de mille pages. Mais bien loin d’être mille longues pages, ce roman est idéal pour les amateurs d’après-midis ou journées lecture : il est extrêmement dur à poser une fois que vous l’avez dans les mains. En plus, il est assez lourd pour vous muscler les bras : qui a dit que lire était reposant ?

L’histoire se déroule principalement en Angleterre, au XIXième siècle. La magie a disparu depuis le départ du Roi Corbeau, il y a trois cent ans de cela. Depuis, les seuls magiciens sont ceux qui étudient ce qu’ils ne peuvent plus faire. la tâche leur est rendue très ardue par un mystérieux Monsieur Norrell qui semble acheter tous les livres de magie qui existent encore.

Entre Monsieur Segundus avec la question qui fâche : pourquoi ne fait-on plus de magie en Angleterre ? Comme beaucoup de questions très simples, elle entraîne des débats très houleux parmi les magiciens du Yorkshire. Aidé par Monsieur Honeyfoot, Monsieur Segundus part donc à la recherche de la réponse à sa question. Mais pourquoi poser cette question maintenant, demanderez-vous. Parce que Monsieur Segundus a rencontré un magicien de pacotille dans une de ces célèbres tentes jaunes de Londres qui lui a annoncé que la magie était sur le point d’être restaurée en Angleterre grâce à deux magiciens.

Les deux magiciens sont trouvés dans les cent premières pages du roman : Jonathan Strange et Mr Norrell. Ils sont tout à fait opposés. D’un côté, Mr Norrell est un homme réservé, renfermé, habitué à lire dans sa bibliothèque et à faire de la magie de son côté. De l’autre côté, Jonathan Strange est un jeune noble, ancien habitué à une vie de dissolution et d’ennui, récemment marié à l’amour de sa vie. Ils sont le Classique contre le Romantique et ils doivent désormais travailler ensemble pour restaurer la magie en Angleterre. Pour cela, ils doivent se rendre utile au gouvernement anglais dans ces temps de guerre contre les Français.

Vous demanderez à votre humble narratrice : mais les Anglais ont toujours été en guerre contre les Français, de quelle guerre parlons-nous ? Des guerres napoléoniennes, chers lecteurs ! Dans ce climat particulier et, après ces guerres, les deux magiciens font face à une multitude d’ennemis : les Français, eux-mêmes et… des fées.

Oui, des fées. Parce que, vous voyez, la magie proposée par Susanna Clarke est bien loin de celle de l’Autre Magicien Anglais (vous savez de qui je parle) La magie est basée sur des sorts, compilés dans des livres et, avant le départ du Roi Corbeau, les magiciens étaient aidés par des fées. Ces fées-là sont très différentes des jolies demoiselles miniatures avec des ailes : ce sont les fées des landes, les fées qui enlèvent les personnes qui les intriguent, les fées qui passent des marchés trompeurs avec qui ose les appeler. Ce sont des Rumplestilskin. La magie de Jonathan Strange and Mr Norrell est un compromis entre la magie bienfaisante de Disney et la magie noire des sorcières de Macbeth. Les fées sont particulièrement intéressantes dans ce roman parce que la magie dont elles sont formées n’est pas seulement décrite comme extraordinaire, mais est montrée comme extraordinaire. Lorsqu’un élément féérique est évoqué, le language lui-même change. Les descriptions ne montrent pas « un manteau vert très mystérieux et féérique » mais un « manteau de la couleur des tempêtes ». Le language devient féérique et transporte le lecteur dans une toute nouvelle dimension sans avoir à expliquer que tel ou tel détail est spécifiquement étrange car il appartient au monde des fées.

Car Susanna Clarke manie tous les instruments du roman avec une intelligence et une habileté incroyables (fantastique, dirions-nous presque, si nous avions un sens de l’humour catastrophique)  Elle écrit un roman de fantasy totalement unique, tel que votre humble narratrice n’avait pas vu depuis Tolkien (pour vous dire…) Les capacités d’invention de l’auteur sont immenses : la magie a une histoire développée jusqu’aux mythes qui sont la déformation de l’Histoire, jusqu’au moindre ouvrage de magie qui a un titre, un ou des auteurs, une histoire et des caractéristiques (trop ancien, trop sec, trop mystérieux) et qui est détaillé comme si l’auteur l’avait dans sa bibliothèque, à portée de main. L’auteur a une bibliographie de magie imaginaire. Au lieu d’interrompre la narration pour nous donner ces informations essentielles à la compréhension de l’histoire dans de longs apartés qui perdent le lecteur, l’auteur utilise des notes de bas de page. Vous savez ces notes de bas de page qui vous donnent des références pour encore plus d’ouvrages à lire sur un sujet ou ces notes de bas de page que vous avez du rajouter trois heures avant de rendre votre devoir et que vous avez maudites comme étant la malédiction de l’académique ? Dans ce roman, il s’agit d’un procédé absolument génial qui permet de découvrir toute la mythologie du monde du roman sans le forcer à faire une valse de pages pour retrouver l’endroit où la narration a été interrompue.

Susanna Clarke lie invention et culture dans un duo digne des deux personnages principaux : elle utilise le vieux pour créer le neuf, ce qui est absolument fantastique. Elle utilise les notes de bas de page, incroyablement sèches et académiques pour les transformer en contes extraordinaires. Elle utilise le movement d’opposition entre les Classiques et les Romantiques dans la littérature pour baser l’opposition entre Mr Norrell et Jonathan Strange : ce sont les deux faces de la même pièce, opposés, mais liés dans leur succession.

La littérature occupe une place cruciale dans le roman. D’une part, le roman est ancré dans le paysage littéraire du siècle : le lecteur y retrouve des références aux romans d’Ann Radcliffe et Lord Byron lui-même fait plusieurs apparitions. D’autre part, l’auteur reprend les personnages en marge du roman gothique, les personnes les plus mystérieux du roman gothique, pour en faire des héros. Lady Pole incarne l’épouse devenue folle et Stephen Black, son serviteur né esclave, incarne le souvenir de l’horreur coloniale britannique. Ces deux personnages vont cependant se révéler plus héroïques que les deux personnages principaux. Les références littéraires dans ce roman sont innombrables : de Shakespeare à Oscar Wilde, tous les classiques anglais semblent contenus dans le roman.

Les recherches que l’auteur a faites pour écrire son roman sont incroyables : du voyage en carrosse au champ de bataille de Waterloo, en passant par la géographie de Londres au XIXième siècle, tous les détails ont visiblement donné lieu à d’importantes recherches. Pour un roman sur la magie, Susanna Clarke ne laisse pas les faits devenir fantaisistes.

Votre humble narratrice a évoqué Oscar Wilde : le narrateur a un humour tout à fait british qui vous fera rire même dans les situations les plus dramatiques. Le narrateur ne laisse pas les personnages devenir trop héroïques ou trop dramatiques sans leur lancer quelques traits bien placés, parfaits exemples du « wit » anglais. On y retrouve également quelques remarques qui ne seraient pas déplacées dans un film des Monty Python.

Mais ces traits d’humour n’empêchent cependant pas la progression du roman dans un climat entre l’étrange et l’horreur. Les dernières pages vous donneront l’effet d’être dans les bras de Dracula : effrayés, mais incapable de briser l’enchantement.

Votre humble narratrice pourrait écrire des pages et des pages sur ce roman mais cette chronique ne peut pas vous empêcher plus longtemps d’aller découvrir ce merveilleux roman. Si vous hésitez encore à vous lancer dans ce voyage de mille pages, commencez par l’adaptation par la BBC (qui d’autre ?) : les décors, les costumes, la lumière, l’adaptation, tout est incroyablement bien réalisé, un bel homage au roman de Susanna Clarke.

JSAMN

1024 pages

Bloomsburry Publishing

Anne-Victoire

À propos Anne-Victoire

Chroniqueuse

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