Dernier volet de la trilogie sur la vie de Joe Coughlin, entamée avec l’incroyable « Un pays à l’aube » et suivi du moins bon, mais pas inintéressant « Ils vivent la nuit », « Ce monde perdu » offre-t-il une formule réchauffée ou alors assistons-nous au retour gagnant d’un grand Dennis Lehane ?
En 1943, le monde est en guerre, l’Amérique s’en est allée combattre le japonais et l’allemand. L’effort de guerre implique énormément de restrictions et la mafia en subit quelques conséquences économiques. Joe Coughlin, qui n’est plus à la tête de la division de Floride, mais s’occupe plus de la vitrine et des affaires de la « Famille », a su avoir le nez fin et rebondir sur les bons investissements à faire en temps et en heure pour pouvoir continuer à prospérer. La poule aux œufs d’or, du moins c’est comme ça que nous nous représentons Joe, un homme intouchable, aimé de tous dans le milieu, qui sait faire fructifier la moindre affaire de la « Famille ». Au service de Dion, son ami d’enfance, que l’on connaît depuis « Un pays à l’aube », Joe, cet homme d’affaires d’origine irlandaise, prospère dans une certaine insouciance que son métier n’offre que très rarement. Mais voila, une tueuse à gage fraîchement arrêtée, après avoir exécuté son mari, l’informe que leurs vies, la sienne et surtout celle de Joe sont en danger. Par qui ? Et surtout pourquoi ? Ce sont les deux grandes interrogations. Une seule certitude, une date : le mercredi des cendres, soit dans une dizaine de jours. L’affrontement de son ennemi l’inquiète peu, par contre laisser son fils orphelin le terrifie. Il va falloir à Joe toute son adresse et ses relations pour trouver et éliminer à temps ce mystérieux tueur et surtout démêler cette histoire afin de trouver qui est à l’origine de ce contrat.
Le Parrain// Joe Coughlin même combat ?
Dans un sens oui, nous assistons, outre l’intrigue minutieusement orchestrée, à une véritable analyse en profondeur du fonctionnement de la Cosa Nostra « lehannienne ». Mais tout comme dans la série Soprano, les cas de conscience et les états d’âme prennent le pas sur un quotidien de mafieux. Ainsi l’image du gangster est mise à mal, l’éthique des personnages démontre un coté humain dans le fonctionnement de la « Famille » (paradoxale pour des mafieux sans foi ni loi), Joe et Dion, vieillissant, changent, fonctionnent et réfléchissent différemment. L’aspect humain de Joe est encore plus prenant et percutant qu’avant, sa relation avec son fils, Thomas, n’est pas sans rappeler Michael Sullivan et son fils dans le film « Les sentiers de la perdition » de Sam Mendes. Lorgnant presque sur un traitement caricatural de certains personnages, mais ne tombant jamais pour autant dans le kitsch ou la faute de goût, Lehanne écrit très certainement son tome le plus sombre et inquiétant de cette trilogie. Un livre qui rappelle que l’on peut choisir son destin mais pas forcément sa finalité.
Ce même fatalisme que nous retrouvions dans le Parrain de Coppola est ici porté à son paroxysme, car chaque acte, chaque décision prise par les personnages ont souvent des répercussions lourdes.
Roman très épuré dans la style d’écriture, privilégiant l’action à la contemplation, le passage par la case scénariste de l’auteur aura su donner plus de rythme à ses romans. Dernier volet de sa trilogie mafieuse et surtout dernier tome sur Joe Coughlin, un personnage d’une grandeur impressionnante, qui tout comme Kenzie et Gennaro, saura marquer les lecteurs. Un retour en grande forme de Dennis Lehane, qui espérons-le, n’est pas le dernier râle d’agonie d’un auteur avant la fuite de toutes bonnes idées, mais plutôt le réveil du talent monstrueux de l’écrivain qui avait su nous marquer avec des romans tels que « Ténèbre prenez moi la main », « Gone baby gone », « Mystic river » ou encore « Shutter island », quant à son chef d’oeuvre « Un pays à l’aube »….
bel article, j’aime Lehane, celui-ci sera le prochain achat. Un pays à l’aube, oui…