En ces périodes de grande liesse commerciale, de cohue étouffante et d’angoisse de la trouvaille, il est plus que temps de se (re)plonger dans le classique de Zola ” Au bonheur des dames”, dont les thèmes font écho de manière spectaculaire à notre époque de consumérisme effréné.
“Au bonheur des dames”, c’est le nom, ironique, qu’a trouvé Zola pour le grand magasin-empire de Paris qu’il entend écrire dans ce roman. Il a fallu des recherches, encore des recherches, mais aussi beaucoup d’imagination et d’empathie, pour nous faire entrer dans les coulisses de ce magasin, inspiré du Bon Marché. Le lecteur est bichonné à tous les niveaux : historique et économique, lorsque Zola décrit la croissance folle de cette fabrique à convoitises qui devient de plus en plus incontournable pour les parisiens de la bonne société, et de la classe moyenne.
Intime, lorsque Denise, arrivée de sa province natale avec sa famille au passé tragique, se perd dans la contemplation des vitrines du Bonheur des Dames, celui-là même qui cause la chute du magasin plus modeste de son oncle, condamné comme les autres à se faire manger par le capital du nouveau venu.
Cette fièvre, depuis le matin, avait grandi peu à peu, comme la griserie même qui se dégageait des étoffes remuées. La foule flambait sous l’incendie du soleil de cinq heures. Maintenant, Mme Marty avait la face animée et nerveuse d’une enfant qui a bu du vin pur. Entrée les yeux clairs, la peau fraîche du froid de la rue, elle s’était lentement brûlé la vue et le teint, au spectacle de ce luxe, de ces couleurs violentes, dont le galop continu irritait sa passion. Lorsqu’elle partit enfin, après avoir dit qu’elle paierait chez elle, terrifiée par le chiffre de sa facture, elle avait les traits tirés, les yeux élargis d’une malade. Il lui fallut se battre pour se dégager de l’écrasement obstiné de la porte ; on s’y tuait, au milieu du massacre des soldes. Puis, sur le trottoir, quand elle eut retrouvé sa fille qu’elle avait perdue, elle frissonna à l’air vif, elle demeura effarée, dans le détraquement de cette névrose des grands bazars.
Denise a un parcours de personnage de roman parfait. Arrivée miséreuse sur le trottoir, chaussée de vieux souliers qui la feront souffrir pendants des mois, elle est embauchée dans le magasin, dans lequel elle connaitra de multiples aventures dans son ascension sociale et dans sa vie de femme.
La place de la femme et de l’homme dans la société de l’époque est par ailleurs parfaitement dessinée par Zola, qui ne prend rien pour acquis, questionne constamment les rouages de ce qu’il décrit.
Quel bonheur de lecteur de se laisser perdre dans les allées de ce magasin, conté comme on regarde une maquette en vue de coupe. Accorder du temps à ce livre, c’est faire un pas dans une machine à remonter le temps. La précision apportée à la narration du réel s’élargit à celle des émotions de chaque personnage, au ressenti des clients, du petit commerçant bouffé par l’ambition du nouveau voisin, au grand ponte du divertissement commercial, tous décrits avec la même justice.
Aussi parfaite que semble être la description de Paris de cette époque, le livre n’est pourtant pas un traité, n’est pas un catalogue, n’est pas un rapport sur l’état du commerce entre 1864 et 1869. C’est un roman vivant, enlevé, passionnant, et d’un accès extrêmement facile. Un page turner foisonnant, enivrant, cruel et merveilleux, dont je vous recommande la lecture avec une attention toute renouvelée, tant il apporte un éclairage sur des sujets tout à fait actuels.
Joyeuses fêtes à tous !
J’ai l’impression qu’on risque toutes d’être très positives sur ce roman 😉
Moi aussi, j’ai adoré Denise (que je considère également comme le personnage de roman parfait) et j’ai dévoré ce roman en quelques jours alors que je m’attendais à devoir me le “coltiner” pendant deux semaines… Bref, je suis ravie de cette lecture !
C’est sûr qu’on ne se coltine pas ce roman ! Denise est un superbe personnage et on voit dans les notes de Zola à la fin de l’exemplaire que je détiens à quel point il a réussi à écrire ce qu’il avait prévu
Un Zola très vivant et qui aborde des sujets qui sont toujours d’actualité, moi qui n’aime pas les classiques j’ai adoré !
Mais les classiques sont parfois des classiques pour de bonnes raisons 🙂
Je l’avais lu en 4ème pour le collège, et beaucoup aimé. Tu vois ce qu’il m’en reste 30 ans après c’est l’inéluctabilité d’un monde qui change, je m’en rends compte juste quand tu parles de l’oncle de Denise finalement, car (je l’avais oublié) il incarne vraiment la victime d’une société qui se transforme et je me souviens à quel point cela m’avait bouleversée quand j’étais jeune (et que je ne saisissais pas encore la question de l’hyper consommation et du consumérisme). Et je me demande si justement, nous ne sommes pas en train de vivre un autre grand changement.
Bon bout d’An.
PS: tu as raison de rappeler qu’il est quand même archi accessible.
Oui je me suis dit la même chose sur le nouveau grand changement !