Paru en 2004 chez Le Passeur, Penser à respirer est le premier roman de l’auteure écossaise Janice Galloway, ce premier roman fut publié en 1989 en Angleterre, on pourrait penser que l’histoire se finit ainsi, mais à l’image de l’intrigue, ce roman renaît sous une nouvelle parure par la bienveillante maison d’éditions Cambourakis. Pari risqué et osé, que de republier un roman aussi délicat et au sujet aussi sombre que la dépression suite à la perte d’un être.
Joy – le paradoxe démarre par le prénom – a perdu le goût de la vie le jour où son amant, en Espagne, a perdu la vie dans un tragique accident. Cette écossaise de retour chez elle, vivant chez lui, et surtout ayant un quotidien organisé et minutieusement réglé, afin de survivre plus par automatisme que par envie. Mais Joy amorce quelque chose, un changement, infime au début, puis de plus en plus lumineux, l’écriture salutaire ? Peut-être bien.
« Le réveil
Je me redresse vivement avant de réaliser que ce n’est que le réveil.
Mardi matin
Je dois aller travailler.
Je dois aller travailler parce que
1. il y fera plus chaud qu’ici ;
2. c’est mon gagne pain ;
3. il y aura des gens.
Je m’enveloppe dans deux couches de vêtements pour me protéger du froid glacial. »
Premier roman en forme de journal intime éclaté, dépouillé de forme narrative, soulignant encore plus le désert émotif et sensoriel qu’est Joy. On pourrait tomber dans le pathétique tant le sujet abordé est lourd. Mais finalement, l’intérêt du livre n’est pas dans l’histoire, mais dans le reste. Un journal intime de la rébellion et de la renaissance, cette écriture épurée, éclatée, par moment inachevée, et souvent emprunt d’une forme de légèreté et d’innocence plonge le lecteur dans l’intimité tout ironique de Joy. Entrecoupé par des petites annonces, des extraits de dialogues, des pages mieux écrites que d’autres, c’est une Joy qui se reconstruit sous nos yeux. Une protagoniste en rupture avec son monde, qui dépeint une Ecosse consumériste qui la dérange et qu’elle préfère regarder avec ironie et une certaine forme de légèreté afin de pouvoir, elle, intérieurement avancer et se reconstruire.
« Leçon 3 : Les psychiatres vous lâchent délibérément la bride. »
Qu’on se le dise, malgré le thème, ce roman est lumineux et novateur, replacée dans son époque, Janice Galloway est une précurseur d’un renouveau littéraire écossais qui a marqué le milieu avec des auteurs tels qu’Irvine Welsh dans les années 90. Une écriture plus féminine et moins trash que son confrère, et une certaine forme d’humour, il y a ce flegme tout “british” chez son personnage. Un premier roman, à ranger au côté des premiers Chuck Palahniuk, bluffant par tant d’ingéniosité qui mérite une seconde chance chez nous.
Cambourakis,
Trad. Elisabeth Luc
280 pages.
Ted.