“Les miroirs voient tant de choses. Ils pourraient nous aider s’ils le voulaient. En ce temps-là, je parlais à chaque miroir de l’appartement. Je les interrogeais, leur disais que je ne savais que faire, mais aucun d’eux ne me répondait.”
Boy, Snow, Bird est de ces romans rares et précieux qui marquent inévitablement. L’écriture d’Helen Oyeyemi a ce côté à la fois sobre et audacieux, franc et envoûtant. Elle est aussi habile et subtile qu’il faut l’être pour réaliser un tour de magie, avec ce côté mystérieux, tragique et merveilleux des contes. Un conte contemporain, oui, il y a quelque chose de cela.
“Vous n’avez que quinze ans et êtes une gamine instable. Vous ne retournez pas leurs sourires aux gens car vous avez parfaitement compris qu’on peut sourire sans arrêt et n’en être pas moins un salaud.”
Boy est du genre pragmatique et instinctive. Elle vit avec son père, preneur de rat. De sa mère, il n’est jamais question. Maltraitée, elle fait face, s’endurcit et finit par s’enfuir peu après ses vingt ans. C’est à Flax Hill qu’elle débarque et commence une nouvelle vie. Elle enchaîne les petits boulots, rencontre Arturo Whitman et sa fille Snow. Aussi belle qu’impénétrable.
“Se rend t-elle compte qu’elle a cet effet sur les gens ? Question idiote. C’est nous qui avons cet effet sur elle.”
Bird naît au printemps, aussi sombre que Snow est blanche. Reconnue par son père, Arturo, et adoptée par sa demi-sœur – “Snow grimpa sur le lit, la scruta, s’y reprit à trois fois et déclara : gardons-la !” – il n’y a pas l’ombre d’un doute, elle est des leurs. Mais c’est du côté des grands-parents Withman que ça coince.
“(…) ce n’est pas la blancheur elle-même qui Les oppose à Nous, mais la vénération de la blancheur”
Alors que Snow attire tous les regards du haut de ses huit ans, Bird laisse sceptique. Qui a des racines afro-américaines ? Boy, pour qui sa mère reste une énigme, ou les Whitman, aux réactions parfois troublantes ?
“Ces derniers temps, je suis devenue le genre de fille qui aime penser sur papier, s’installer avec un bloc-notes, un stylo décent et un bonbon à l’anis briseur de mâchoire, si gros que mes molaires l’enserrent comme s’il s’agissait d’une partie de mon crâne depuis longtemps perdue qu’elles retrouvaient enfin.”
Si Bird ne se pose pas trop de questions quant à sa couleur de peau, elle s’en pose bien d’autres en grandissant. Perspicace et directe, elle attend des autres la même sincérité. Elle reste d’un naturel déconcertant en toute situation et ne manque pas de talent pour découvrir les secrets qui l’entourent, sauf peut-être au sujet des miroirs : elle ne s’y reflète pas toujours. D’ailleurs, Boy et Snow s’en méfient aussi.
“Parfois, les miroirs ne peuvent me trouver.” Boy
“Impossible de compter sur mon reflet, il n’est pas toujours là (…)” Snow
“Personne ne m’avait jamais prévenue au sujet des miroirs, de sorte que je les ai appréciés durant longtemps, les croyant fiables.” Boy
Surprenant, envoutant, atypique… il y a quelque chose qui incite à ne jamais fermer ce livre. Et à le relire. Car c’est avec acuité qu’Helen Oyeyemi pose son regard et ses mots sur la question des origines, de la filiation, de l’identité et du genre. Sublime roman à la fin des plus inattendue.
éd. Galaade, 2016
288 pages
trad. Guillaume Villeneuve
Pauline
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