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Seray Şahiner- La Coiffure de la Mariée

Dans ce billet, une bonne nouvelle: celle de l’arrivée d’une nouvelle maison d’édition plus que prometteuse qui véhicule un projet ultra-inventif et ouvert sur le monde, reliant le support papier traditionnel à la richesse d’internet. Lancée par deux jeunes bouquineuses-voyageuses, Dorothty Aubert et Marie Trébaol, Belleville éditions se sert de la technologie du QRcode pour agrémenter le récit d’anecdotes, de photos et d’explications apportant un second pallier de lecture, qui concilie enfin la noblesse d’un livre au fourmillement technique du web dans son aspect mélioratif à travers des récits-connectés.
Les deux associés ont entre autre pour but de véhiculer leur passion pour la littérature évidemment, mais aussi pour les voyages, la découverte, l’ouverture aux autres et le partage coloré.
Le nom même de ce projet plus qu’intéréssant décrit bien la volonté de retranscrire tout cela dans leur ligne éditoriale; Belleville, ce quartier de Paris où se croisent et se rencontrent les cultures, à l’aspect résolument contemporain et populaire.

Pour la publication de leur premier roman, D. Aubert et M. Trébaol ont choisi un coup de coeur rencontré sur les pavés d’Istanbul: Seray Şahiner, jeune auteure turque prolifique et curieuse de tout, engagée et lucide sur l’environnement social qui l’entoure.
A travers La Coiffure de la Mariée, elle nous brosse les portraits de neuf femmes turques, aussi étrangères les unes aux autres que liées par le contexte sociétal dans lequel elles évoluent. Jeunes ou âgées, cadettes ou aînées, elles sont mariées, amantes, célibataires assumées, plus ou moins croyantes et pratiquantes, mais toutes oscillent entre tradition et modernité.

“Et ma mère leur offrait les dolmas qu’elle avait préparés jusqu’au petit matin, en annonçant fièrement “c’est Sibel qui les a faits”- si au moins je savais faire ces foutus dolmas. Et cette bonne femme qui va bientôt devenir ma belle-mère s’extasiait devant eux. Je n’étais qu’un prétexte. J’allais danser un halay, et tout à coup, voilà cet Eren à côté de moi, son petit doigt entourant le mien, balançant ma main. J’allais jouer au volley-ball, et tout à coup, et tout à coup Eren me renvoyait le ballon. Je sautais à la corde, c’est encore Eren qui l’a faisait tourner”

La Turquie contemporaine est parfaitement bien illustrée à travers ces brefs récits, encore très imprégnée de sa culture aussi riche qu’ancestrale, où la religion est très importante, l’esprit de communauté marqué et le concept du mâle patriarcal encore très présent. Qu’elle se prénomme Çiğdem et soit en quête du petit-ami qui la mérite vraiment, Fidan et qu’elle couse des culottes pour “rendre service au Jihad” sans savoir de qui il s’agit réellement, ou qu’elle se fasse surnommer Madame Esmée et mène une existence tirée à quatre épingles, toutes ont quelque chose à dire, un message à faire passer à travers leur quotidien respectif qui mette en lumière le grand-écart comportemental et spirituel qu’elles doivent parfois fournir pour avoir la paix.
Leurs voix sont franches, sans détours ni chichis, elles nous font voyager à travers les commérages du quartier, le mariage arrangé qui est encore monnaie courante, et toutes ont la volonté de s’affirmer et de gagner leur indépendance. Ce sont des femmes élastiques aux tempéraments marqués, qui nous content le quotidien istanbuloi à travers des récits parfois tirés par les cheveux.
Mixité, place de la femme, poids de la tradition et répercussions sociales sont les thématiques qu’aborde Seray Şahiner, avec dextérité et engagement dans son roman échevelé.

Autant de sujets qui tiennent à coeur à D. Aubert et M. Trébaol, qui ont voyagé à travers le monde pour rencontrer et dénicher les auteurs qui les marqueront et qu’elles publieront en France, afin de partager leurs découvertes et leurs passions. Loin de l’édition de masse prolifique, il s’agit là d’une édition de coeur où l’on sent que tout à été fait avec amour et minutie, ce qui ajoute un aspect émotionnel très fort à cette première publication.

Ce livre-connecté nous propose de découvrir la richesse de ce pays à travers des photos, des vidéos et des articles nous expliquant qui est İbrahim Tatlıses, d’écouter un air de Semah et de Türkü, de voir la beauté de la mosquée de Murat Paşa… C’est un voyage pur, qui donne envie d’acheter illico un billet pour Istanbul, aller boire une tasse de salep avec Seray Şahiner pour qu’elle nous parle encore de son pays et du quotidien des femmes comme elle sait si bien le faire, d’écouter l’appel à la prière qui résonne à travers toute la ville et de voir les chats qui se font dorer la pilule à chaque coin des ruelles du quartier du district de Beyoğlu. C’est un livre honnête, écrit avec le coeur, qui a comblé mes attentes avec un franc succès.

Un très bon premier choix pour les éditions Belleville, un roman soigné au contenant et contenu de qualité qui nous fait voyager intelligemment sur les lignes de la femme moderne. Bref, je n’ai qu’une hâte, découvrir de nouveaux auteurs dégotés par le duo D. Aubert et M. Trébal et de vagabonder à travers leurs écrits, aux fils des mots colorées et plein de partage.

Seray Şahiner la coiffure de la mariée image

Belleville Editions
182 pages
Caroline

À propos Caroline

Chroniqueuse

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