Introduction à la littérature fantastique est une oeuvre critique de Tzvetan Todorov, publiée en 1970.
Votre humble narratrice connait vos questions. Vous vous demandez pourquoi vous devriez lire une oeuvre critique. Vous vous demandez si vous êtes capable de lire une oeuvre critique. Vous vous demandez si votre humble narratrice a finalement perdu la tête pour vous conseiller des lectures obscures qui, sincèrement, n’intéressent personne.
Bien que votre humble narratrice ne puisse répondre à la dernière question, elle va tenter de répondre aux deux premières.
- Pourquoi lire une oeuvre critique ? Après tout, c’est comme si on vous demandait de lire un traité sur les insectes mortels en Australie alors que vous n’aviez même pas pensé au sujet avant qu’on vous tende le livre. Mais vous avez pensé au sujet de cette oeuvre-là. Vous avez déjà pensé à la littérature fantastique. Sauf si votre humble narratrice se trompe, si vous lisez ceci, vous avez déjà pensé à la littérature. Vous vous êtes déjà demandé : pourquoi ? comment ? Peut-être avez-vous poussé ces questions sous le proverbial tapis avec un “on ne saura jamais”. Votre humble narratrice est là pour vous dire : “si, vous le saurez et voici comment” Bien sûr, aucune oeuvre critique ne répondra à la question de la vie et de l’univers pour vous, encore moins à la question de la littérature, mais ces oeuvres proposent des hypothèses qui peuvent éclairer la voie. Pourquoi lire une oeuvre critique ? Parce que vous êtes des lecteurs. Parce que ces oeuvres vous donnent une façon de découvrir une oeuvre (un genre) à laquelle vous n’auriez pas pensé. Il y a plus aux oeuvres que la découverte d’une histoire, d’un thème… Lire des oeuvres critiques permettent d’aborder des oeuvres que vous auriez pensées inabordables. Une oeuvre critique n’est pas un obstacle, mais un fil rouge qui vous guide et vous permet de regarder les merveilles tout autour de vous, celles que vous auriez peut-être manquées si vous aviez passé votre temps à regarder vos pieds en essayant de ne pas vous perdre. Pensez à votre oeuvre critique comme à une recette : vous n’êtes pas obligés d’avoir une recette pour faire un gâteau, mais le gâteau sera probablement nettement meilleur si vous aviez une recette pour vous guider. Vous n’êtes bien sûr pas obligés de suivre la recette dans ses moindres détails, mais c’est une base solide. Il en va de même pour l’oeuvre critique : vous n’êtes pas obligés d’adopter toutes les théories de l’oeuvre pour l’apprécier.
- Pouvons-nous lire une oeuvre critique sans être un pro de la littérature et avoir suivi des classes de théorie de la littérature depuis l’âge de cinq ans ? La réponse, assez étonnamment, est oui. Si vous avez commencé vos cours de théorie de la littérature à dix ans, vous pouvez tout de même comprendre une oeuvre critique. Plus sérieusement (votre humble narratrice devrait arrêter de faire des blagues, c’est un sujet sérieux) vous ne pourrez pas lire De La Grammatologie de Derrida si vous n’avez pas une certaine connaissance de la théorie littéraire. C’est la raison pour laquelle votre humble narratrice vous conseille Introduction à la littérature fantastique de Todorov et non pas De La Grammatologie. Votre humble narratrice a trouvé cette oeuvre très abordable ce qui, paradoxalement, n’est pas toujours le cas avec les oeuvres dont le titre contient ‘Introduction’ (si vous tombez sur Introduction à la psychanalyse de Freud, par exemple, apprenez des erreurs de votre humble narratrice…) Donc, tout n’est pas accessible, mais certaines oeuvres le sont.
Introduction à la littérature fantastique est accessible pour deux raisons :
- chaque oeuvre que Todorov cite, l’auteur résume et explique (pas en entier bien sûr, juste ce dont vous avez besoin pour comprendre son raisonnement) Todorov ne part pas du principe que vous connaissez toutes les oeuvres, aussi bien les oeuvres critiques que les oeuvres de fiction. Vous ne risquez donc pas d’être perdus dans un océan de références incompréhensibles, ce qui est définitivement rassurant. En plus, vous allez découvrir beaucoup d’oeuvres que vous aurez peut-être envie d’ajouter à votre liste de lecture, ce qui est une bonne chose !
- le livre est court, concis et clair. Les parties et les sous parties sont clairement indiquées et le style est très direct. Vous ne risquez pas de vous perdre au beau milieu du raisonnement. Et si vous vous perdez, vous pouvez vous retrouver très facilement.
Votre humble narratrice ne peut pas résumer tout le livre de Todorov, mais elle peut vous résumer quelques points abordés dans Introduction :
- En réfléchissant au fantastique, Todorov pose la question du genre, de l’appartenance d’une oeuvre dans un genre. Il réfléchit particulièrement au fantastique, mais la réflexion peut être étendue à tous les autres genres.
- Todorov définit le fantastique comme l’hésitation du lecteur et du personnage principal par rapport à ce à quoi il fait face. Par exemple : est-ce que la statue a bougé ou était-ce une illusion d’optique ? Qu’est-ce qu’il s’est passé pour de vrai et qu’est-ce qui n’était qu’un rêve ? Cette définition nous mène à observer la relation entre la littérature et la réalité, exprimée d’une façon très particulière dans le genre du fantastique : dans le fantastique, le discours figuré devient le discours propre.
- Pour définir le fantastique, Todorov décrit également ce qu’il n’est pas (une leçon à retenir pour chaque effort de définition) Todorov explique la différence entre le fantastique et l’étrange et le merveilleux et il explore les formes intermédiaires telles que le fantastique-étrange et le fantastique-merveilleux.
- Le plus intéressant, selon votre humble narratrice, dans cette Introduction à la littérature fantastique, ce qui met cet ouvrage à part, est l’analyse des thèmes du fantastique. Comme Todorov le fait remarquer, la plupart des classifications des thèmes du fantastique ressemblent à des énumérations : le vampire, le fantôme, le zombie, le criminel. Chaque thème pris séparément et analysé. Todorov propose une toute nouvelle classification : les thèmes du ‘je’ et les thèmes du ‘tu’. Les thèmes du ‘je’ englobent la multiplication de la personnalité, le double, la métamorphose, le regard, en résumé, le flou entre la matière et l’esprit. Les thèmes du ‘tu’ concernent le désir, notamment le désir sexuel, dans toutes ses déclinaisons.
- Todorov utilise non seulement une classification basée sur les formes littéraires (non pas des thèmes comme le vampire, le fantôme etc) mais s’aide également de la psychanalyse. La façon dont il utilise ces différentes méthodes pour analyser les oeuvres choisies peut vous inspirer à, vous-même, analyser les oeuvres que vous lirez par la suite de la même manière. Todorov évoque même les limites de la lecture psychanalytique des oeuvres que votre humble narratrice apprécie particulièrement (et a régulièrement envie de coller à la porte de certains enthousiastes, un peu trop prêts à ‘coller’ une analyse toute faite sur une oeuvre, ce qui est une hérésie)
En lisant une oeuvre critique, vous apprenez à développer votre propre ‘sens critique’ tout comme les chefs apprennent à faire de bons gâteaux en découvrant plusieurs recettes. Si vous avez votre propre sens critique, vous serez moins dépendants de la lecture des autres, ce qui est extrêmement utile quand vous partez à la découverte d’oeuvres classiques. Si vous lisez de la même façon que vous lisiez quand vous étiez adolescents, vous risquez de passer à côté de beaucoup de merveilles que les livres ont à vous offrir : vous pouvez manger autant de gâteaux au chocolat que vous voulez, si vous n’apprenez pas à reconnaitre la différence entre du chocolat noir avec 90% de cacao et du chocolat noir avec 45% de cacao, combien de gâteaux au chocolat avez-vous vraiment mangé ? (Indice : vous allez avoir besoin de beaucoup de lait pour faire passer le gâteau au chocolat noir avec 90% de cacao) De même, votre humble narratrice a lu Dracula exactement six fois et, à chaque fois, elle découvre ce roman à nouveau parce qu’à chaque fois, elle a une nouvelle perspective, une nouvelle lampe torche pour découvrir cette oeuvre. Vous pouvez lire la même oeuvre encore et encore, elle sera différente si vous la lisez sous une nouvelle lumière.
Enfin, lire Introduction à la littérature fantastique de Todorov n’est pas seulement un moyen de découvrir une nouvelle façon de lire. De nos jours, le fantastique n’existe pas uniquement dans la littérature, mais peut se trouver absolument partout. Croyez-en votre humble narratrice: il y a un The X-Files d’avant avoir lu Todorov et un The X-Files d’après.
L’image de couverture est bien “Le Cauchemar” de Fuseli. C’est un bon example du fantastique : ces créatures sont-elles réelles ou sont-elles juste le fruit du cauchemar ? Le cauchemar est-il littéral ou est-il pur produit de l’imagination ? Comment peut-on distinguer les deux dans une oeuvre d’art ?
ed. Points
188 pages
Anne-Victoire