La nuit, nous grandissons. Pour son septième opus, La Belle Colère a choisi un roman du jeune britannique Ben Brooks. Entre fiction et inspiration autobiographique, Brooks nous raconte la vie de Jasper Wolf, lycéen lambda dans une banlieue anglaise. Le protagoniste se revendique comme le nouvel Holden Caulfield, mais un Caulfield nourri à Skins, Bret Easton Ellis et Chuck Palaniuk.
“Je suis un loup. Jasper James Wolf. Comme je suis beau. Tellement mince et élancé. J’ai des cheveux magnifiques. Je suis merveilleux. Et je coule, aussi. Peut-être que je marche sur l’océan.”
Lycéen issu de la middle class, Jasper partage son temps entre les cours – qu’il suit distraitement – et ses amis Tenaya, Ping et Jonah, avec qui il sort, boit et se drogue un peu trop. A la manière de Tony Stonem, il fait illusion devant sa mère, persuadée qu’il se lève tôt, révise sérieusement et ne touche jamais aux substances illicites. Il est convaincu que son nouveau beau-père, Keith, a assassiné son ex-femme, et interprète chacune de ses paroles au regard de ce prisme. Jasper se laisse porter par le temps, ayant pour seul objectif de coucher avec Georgia Treely, séduisante mais chaste camarade. Dans la poursuite de sa quête, il finira par dépuceler Abby Hall, blonde potelée loin d’être à son goût et un peu collante. Entre alcool et kétamine, les soirées dégénèrent et se ressemblent toutes le lendemain : thé et télé avec Tenaya. L’ennui ôte tout intérêt à leurs vies. Pourtant, Jasper sera le seul à prêter attention à certains détails, comme les coupures sur les bras de Tenaya, les éclairs de lucidité de la psy à qui il ment éhontement ou encore l’indifférence des call-girls du net, laissant entrevoir plus qu’un seul narcissisme adolescent.
“S’il y a une chose que j”ai apprise en dix-sept ans ici-bas, c’est que l’humain adore toucher des choses. En voici une liste : les vagins, les objets chers dans les boutiques, la gelée qui n’a pas encore pris, les briquets, les cous, les choses mortes, les chiens, le verre, les cicatrices, les piercings, ce qui est par terre et qui ne devrait pas y être, les joues de bébé, la neige, les genoux, les boutons, les fesses.”
Chronique de l’ennui, de la mélancolie et l’indifférence adolescente, des tentatives d’exaltation par la drogue, La nuit, nous grandissons offre un regard distant sur la façon de grandir d’une génération désabusée. Narcissiques et déconnectés de la vie réelle, les personnages errent entre l’enfance et l’âge adulte, refusant toute responsabilité de leurs actes. En cela, le livre est une réussite, montrant la distance, la crudité avec lesquelles l’âge adolescent envisage la vie. Derrière l’égoïsme et l’ironie se cachent pourtant la peur de grandir et une impuissance angoissante. Brooks dépeint à la fois maladroitement et justement ces errances, ce comportement parfois bipolaire, et l’urgence d’une jeunesse qui se fane.
Editions La belle Colère,
Traduction : Marie de Prémonville,
272 pages,
Aurore