Benjamin Benjamin. Nom improbable pour un anti-héros comme nous les sert si bien Toussaint Louverture. Dans Les fondamentaux de l’aide à la personne revus et corrigés, troisième roman de Jonathan Evison – et premier traduit en français -, Benjamin Benjamin (que l’on réduira à « seulement » Benjamin) nous fait entrer dans le quotidien d’un homme accablé par le chagrin et la culpabilité. Dit comme ça, ce n’est pas très joyeux. Pourtant, Benjamin reste cynique et sa rencontre avec Trevor, jeune handicapé physique va, si ce n’est lui redonner goût à la vie, lui laisser l’occasion de cesser de s’apitoyer sur lui-même pour se concentrer sur les besoins d’autrui.
Benjamin traine sa peine dans les bars depuis quelques années. Dans l’alcool et le chocolat, il cherche un échappatoire à cette peine incommensurable liée à son ancienne famille. L’argent devient une problème urgent et, n’ayant jamais travaillé, il se lance dans une formation d’aide à la personne. Parmi toutes les personnes âgées qu’il aurait pu assister, Benjamin se retrouve embauché pour aider Trev, atteint d’une maladie dégénérative et surtout en pleine adolescence. Loin d’être déprimé, Trev tente tant bien que mal de vivre ses premiers émois à travers les présentatrices télé et de se projeter dans des destinations tout sauf glamour.
Écoutez-moi : tout ce que vous croyez savoir, toute relation que vous avez toujours tenue pour acquise, tout projet que vous avez jamais conçu, toute idée que vous avez jamais caressée, tout peut vous être arraché en un instant. Et, tôt ou tard, ça arrivera. A être mis à genoux, réduit à néant. Parce qu’aucune base, si stable soit-elle, aucune décision, aucune précaution, ne vous protégera contre le simple fait que rien n’est indestructible.
Le retour avorté du père de Trev va précipiter le quotidien des deux compères, initiant le projet d’un road-trip jusqu’à la maison de celui-ci, dans l’Utah. Organisation ficelée, trajet fixé selon les hôpitaux et les points de désintérêt des petites villes, la mère de Trev va autoriser à contre-coeur ce voyage, sous condition de respect strict du programme. Et bien évidemment, c’est là que tout va basculer.
La rencontre de Dot, fugueuse punk, et d’un couple mal assorti qui s’apprête à accueillir leur premier rejeton va faire dévier l’ensemble du trajet. Et c’est sans compter sur la mystérieuse voiture qui les suit, sur un léger détour en prison, sur la voisine délirante ou encore sur l’ex-femme décider à obtenir à tout prix ses papiers de divorce.
Parfois, il faut se donner même si ça n’a aucun sens. Parfois, il faut se donner même si ça fait mal. Ce n’est pas facile, ça peut sembler carrément ingrat, mais si vous pouvez le faire et que ça vous est égal de travailler pour des prunes, sachez que l’on propose encore des cours d’aide à la personne à l’église évangélique située derrière le motel de Bremerton.
Malgré leur gaucherie, Benjamin et Trevor forment un duo drôle et attachant. Et les être cabossés qu’ils vont rencontrer tout au long de leur périple vont contribuer à dédramatiser leurs vies. Le plus handicapé n’est pas forcément celui en fauteuil, et chacun d’entre eux va découvrir de nouveaux points de vue. Les fondamentaux ne pose pas tant la question du handicap, mais plutôt celle de la paternité. Au travers de situations drôles, insolites mais également pathétiques, les personnages interrogent leurs rapports aux autres et au monde. Jamais clichés, ils ont des sensibilités très différentes et leurs failles en font des anti-héros crédibles, forts et attachants.
Avec ce premier opus publié en France, Jonathan Evison se place d’emblée comme un auteur à suivre. Un style simple mais juste, des nuances appréciables dans le traitement des sujets, sans oublier une bonne dose d’humour, tout est réuni pour un roman léger, frais et pourtant profond.
Editions Monsieur Toussaint Louverture,
Traduction, Marie Odile Fortier-Masek,
352 pages,
Aurore.