Comédie sérieuse sur la crise financière.
En quatre actes, et en alexandrins.
On connaît Frédéric Lordon comme un sociologue, un économiste atterré et un nuit deboutiste engagé contre la réforme du Code du Travail. Ce personnage public est parfois vu comme peu accessible pour ses lecteurs, par ses auditeurs non-initiés aux concepts de la socio-économie à qui il arrive d’infliger de nombreuses crampes sourcilières par trop forte concentration neuronale. Frédéric Lordon se révèle être avec sa pièce de théâtre D’un retournement l’autre un excellent metteur en scène à la plume légère de ce monde entier qui n’est qu’un théâtre, étudié pendant des années dans son laboratoire du CNRS…
Inspirez profondément, détendez les muscles de votre front jusqu’à ce qu’ils deviennent lisses comme un lac… et laissez-vous emporter par le rire grinçant de cette comédie sérieuse sur la crise des subprimes ! En ouvrant le rideau de la première page, on se revoit lire et étudier Molière mais l’histoire contemporaine ravive toute la puissance de l’alexandrin et de la comédie classique.
LE BANQUIER
Holà ! mon bon ami, je vous entends courir
Quelles bonnes nouvelles venez-vous me servir ?
J’apprécie à son prix votre haut dévouement
Parlez donc, parlez vite, n’attendez plus longtemps.
LE FONDE DE POUVOIR, hors d’haleine
Monsieur, monsieur…
LE BANQUIER
Mon bon.
LE FONDE DE POUVOIR
Il se…, il se…
LE BANQUIER
Plaît-il ?
LE FONDE DE POUVOIR
Il se retourne !
LE BANQUIER
Qui ça se retourne ?
LE FONDE DE POUVOIR, paniqué
Le ma-ma…, le ma-ma…
LE BANQUIER
Le ma-quoi ?
LE FONDE DE POUVOIR
Le marché !
Le rideau s’ouvre donc sur la crise des subprimes, séisme financier aux répliques nombreuses et encore sensibles. La France est gouvernée par Nicolas Sarkozy qui apparaît sous couvert du titre du président de la République, d’Altesse ou de Messire, mais découvert par les nombreuses références cocasses à sa personnalité agitée ou à ses expressions maladroites (“l’outil qui fait l’affaire, /Le seul approprié, c’est bien sûr… le Kärcher ! ” ) Alceste a perdu sa cassette et le monde capitaliste sans trouve tout retourné.
Pour tenter de gérer cette crise défilent dans le bureau du banquier, la salle du conseil d’une banque, le bureau du président à l’Elysée des banquiers, un trader, un huissier, un grand journaliste, le gouverneur de la Banque centrale, le premier ministre et de multiples conseillers. On retrouve les poncifs de la comédie classique, les courtisans et leurs discours teinté d’hypocrisie comme celui de ce grand journaliste rassurant le banquier tourmenté (“Ne vous inquiétez pas, je peux tout rattraper. / Pour être de la presse, je reste responsable, / Je suis un vrai moderne, j’aime le raisonnable.”), le comique de langage avec des logorrhées de jargon de l’univers de la finance et de globish (“Mezzanine” et “Libor”, “OIS”, “Pareto”,/ ça n’est plus une langue mais un espéranto.”) et comique de gestes de ces banquiers qui tentent de rendre accessibles une crise incompréhensible à grands coups de courbes sur un paper board. Trop occupés à ne pas assumer, garder le pouvoir, à rejeter sur l’autre la faute de la catastrophe, ils ne voient pas venir l’autre retournement de cette comédie sérieuse, la colère du peuple. Et comme dans toute tragédie à venir, il y a avertissement…
LE DEUXIEME BANQUIER
Voilà donc que chacun contribue à la houle,
Cette vague qui enfle et va nous chavirer :
Elle vient vers nous tous, tous nous l’avons créée.
D’un retournement l’autre est un véritable OVNI littéraire publié en 2011 qui déride, libère, et invite à penser sans avoir besoin de froncer les sourcils… Mais pour les plus aventureux, la pièce dispose d’un court post-scriptum “Surréalisation de la crise” qui explicite son propos.
Sonia
Frédéric Lordon, D’un retournement l’autre. Comédie sérieuse sur la crise financière. En quatre actes, et en alexandrins. Seuil, 2011, 135 p.