Né en 1965 à Oslo, Nikolaj Frobenius est un habitué des scénarios – il a d’ailleurs fait des études d’écriture cinématographique – et des récits serrés. C’est sans doute ce qui explique son écriture à la serpe, où les détails insignifiants et les longues descriptions n’ont pas de place. Branches obscures est son cinquième livre traduit en français, une histoire où – là encore – deux personnages principaux se toisent, s’observent, s’aiment et s’affrontent.
« Finir un livre, c’est comme emmener un enfant dans la cour et l’abattre » Truman Capote
Jo Uddermann, ancien ado-geek fan de BD, a plutôt réussi sa vie. Ecrivain dont le prochain livre devrait être le début de son succès grand public, père de famille respectable, aucune ombre au tableau. En apparence. Le livre qu’il s’apprête à sortir raconte – de façon fictionnelle – un drame qu’il a connu adolescent. A l’époque, Jo s’est lié d’amitié avec Georg, surnommé “la Craie” en raison de ses cheveux blancs. Tous deux vouent une fascination malsaine pour Katinka, lycéenne au charme magnétique. Une fascination qui signera la fin de leur amitié, définitivement enterrée par le geste destructeur de Georg : il incendie le lycée en pleine journée. Au fil des jours après la publication de son livre, l’existence de Jo va prendre une tournure inquiétante. Messages voyeurs, intrusion sans cambriolage, écureuil mort déposé devant sa porte. Autant de signes qui présagent d’un malheur imminent et provoqué. Un matin, la police réveille Jo : Katinka, désormais sa maîtresse officieuse, a été retrouvée sauvagement assassinée dans un coffre en bois de rose. Et si soudain, Georg, prétendument mort, réapparaissait dans la vie de Jo. Quand une « fausse » autobiographie parvient à son éditrice, la tension et le doute s’insinue dans l’esprit de Jo. De Georg ou lui, qui est le véritable monstre ?
“Tout ce que je vois autour de moi a l’air si faux, si fabriqué. Le monde est une scénographie branlante […] mais je ne sais pas ce que j’ai démasqué. Si ce n’est que tout est faux, et que la vie est sans nécessité.”
Tout au long de ce court roman, on retient sa respiration, on doute. Le crime de Katinka n’est qu’un prétexte pour s’intéresser à l’absence de Georg. Celui-ci existe-t-il encore, a-t-il déjà existé ou est-il une projection de Jo ? Jusqu’à quel point un écrivain peut-il se mettre dans la peau de son protagoniste ? La frontière entre fiction et réalité se brouille toujours plus, questionnant la part de responsabilité de Jo dans les événements survenus des années auparavant et son acceptation de ceux-ci. La vérité de l’un est-elle celle de l’autre ? Entre fascination et répulsion, l’écrivain va devoir s’aventurer dans la forêt de son esprit et aller au delà des branches obscures qui ceignent son inconscient.
Entre thriller et roman noir, Nikolaj Frobenius nous livre ici un récit aux personnages loin des clichés du nordique, et pourtant archétypes d’un genre. Si les codes sont là, tout cela n’est que prétexte pour un roman psychologique sur la schizophrénie de l’écrivain. Un court ouvrage où chaque mot compte, participant à la sensation d’étouffement, d’air manquant, de piège inextricable qui se referme sur l’écrivain et son lecteur. Le malaise s’installe et rapidement prend le pas sur tout le reste. Au delà du danger tangible, il s’agit plus d’une réflexion sur le pouvoir de nos esprits, de leurs capacités à nous enfermer dans des paranoïas, névroses et peurs incontrôlables.
Editions Actes Sud,
Traduction de Céline Romand-Monnier,
288 pages,
Aurore