Nous nous attachons tous à des lieux, des endroits, des espaces. La maison de notre enfance, la ville de nos études, celle de nos espoirs déchus, les contrées lointaines désertiques refuges de nos fuites, grands et petits espaces qui nous accueillent, nous recueillent parfois nous rejettent. Il n’est pas étonnant que les écrivains s’amourachent des grandes villes qui se nourrissent de ces convergences de destinées individuelles, de ces années voire de ces siècles d’attaches émotionnelles et sensorielles.
Apollinaire avait Paris, Paul Auster a New-York et dans notre siècle ultra urbain, la mégalopole est au cœur de toutes les attentions des écrivains sensibles aux mutations politiques et sociétales. Iain Sinclair, romancier et poète britannique a débarqué à Londres pour y suivre des études de cinéma et n’a cessé d’écrire sur elle depuis. Après avoir parcouru à pieds le trajet de l’autoroute périphérique M25 construite par Margareth Thatcher dans London Orbital (Éditions Inculte, 2012), le marcheur de Londres poursuit sa rencontre poétique avec la ville dans London Overground en suivant désormais la ginger line, ligne de métro ouverte en 2010 par Boris Johnson, et qui part de Cheltenham dans la banlieue lointaine.
Les moyens de transport incubent différentes formes d’écriture : le babillage dans le bus à l’impériale s’égarant vers les hôpitaux, ou tard dans les banlieues, aggravé par la pharmacopée. Et les soudaines agressions jacobéennes. Toute l’action se déroulant en temps réel sur les écrans des moniteurs, comme dans une installation artistique. Les trains inclinent à la rêverie, aux méditations à la Keiller sur le logement et la décomposition industrielle. La vibration de basse d’un taxi éveille les fantasmes sexuels, pré- ou post-coïtaux, un interlude hermétique de répit immérité, sous les yeux du voyeur, commentateur au long cours, qui vous épie dans le rétroviseur.
Pour contrer l’indolence évocatrice du train de banlieue, Iain Sinclair choisit de marcher. La Ligne Orange est son fil narratif sur lequel viennent se greffer ses anecdotes, “vestiges des mondes disparus”, et ses observations. Dans cette ville en mouvement perpétuel, la découverte, pour qui veut bien lever les yeux de son portable, est au coin de chaque rue, de chaque station de métro abandonnée, et de ces nouvelles voies qui offrent de nouvelles lectures du territoire.
Les Ginger Liners, comme ils se baptisaient, se retrouvaient à des stations qui leurs étaient inconnues jusque-là pour sniffer du gaz hilarant dans des ballons de baudruche, causer, prendre des selfies. Les anti-sociaux, les muets, les repliés sur eux-mêmes et les haineux traditionnels du métro se regroupaient grâce à Internet. Avec l’objectif de dénicher des territoires où se loger ne serait pas aussi ruineux. Il était triste de constater que l’essentiel de leur conversation tournait autour de l’argent et des niveaux de dettes soutenables.
Se dévoile alors sous nos yeux Londres l’onéreuse délitée par les multiples politiques ultra-libérales. Iain Sinclair accompagné de son ami et “partenaire de l’absurde” le cinéaste Adrew Kötting capture des coups de téléphone, des bribes de conversations, des situations, des murs, des bâtiments symptomatiques de l’ère nouvelle. Ses compagnons de voyage sont Thatcher, Diana, Boris Johnson mais aussi Blake, John Evelyn, Graham Greene, Apollinaire, William Burroughs, Angela Carter et cetera dans cette promenade nostalgique à travers un “marécage digital”. Le récit au présent de cette expérience singulière de pèlerinage s’entremêle à celui des observations qui amène aux contes sur Londres renvoyant eux-mêmes aux expériences passées plus personnelles. Le lecteur fait alors connaissance avec la sensibilité d’un écrivain, ses souvenirs et ceux de Kötting l’amenant toujours un peu plus à la rencontre de “la bête métropolitaine”, cet inconscient collectif qui se cache derrière chaque ville.
Sonia
Iain Sinclair, London Overground, trad. Maxime Berrée, éditions Inculte/Dernière marge, août 2016, 300 p.