Tout commence par un défi d’enfants, un jeu à se faire peur et prouver sa valeur aux copains. Grimper jusqu’à la corniche où repose un ancien ossuaire, là où soufflent les pleurs du vent, une mystérieuse plainte qui hante les habitants du village et place un crâne humain au centre de l’histoire. C’est ce jeu qui va bouleverser le caractère sacré et immuable de la mort et par là même la vie des protagonistes.
Alors que le jeune Akira cherche prouver son courage, son père Seikichi voit ressurgir le souvenir de la bataille d’Okinawa à l’arrivée d’un journaliste venu de la métropole pour tourner un reportage sur “le crâne qui pleure” et perpétuer la mémoire des kamikazes.
Les deux hommes sont hantés chacun à leur façon par une bataille à laquelle ils n’auront pris part qu’indirectement.
Seikichi, n’était alors qu’un enfant, Fujii, le journaliste, était soldat. Dans les yeux du premier, la survie des habitants condamnés à se terrer et à risquer leur vie pour ne pas mourir de faim. Dans ceux du second, l’attente et l’angoisse des kamikazes avant le sacrifice.
Les incursions dans la bataille passée forment un continuum avec les moments “présents” et révèlent le fil qui retient les hommes dans leurs passés respectifs, celui d’une faute à expier.
Medoruma Shun dépeint avec poésie le fabuleux comme la trivialité, la peur comme les remords. Le livre est imprégné d’une sensualité subtile, au plus près des ressentis des personnages, mais avec une pudeur impressionnante de justesse, à la limite du trouble.
Il se dégage également une forme de mystique de la nature, luxuriante mais encore une fois tout en retenue, qui offre un contrepoint aux errements des personnages et apporte dans le récit les seules réponses qu’il puisse peut-être y avoir.
Le roman peut être vu comme une fable sur les traumatismes causés par la guerre, aux populations qui l’ont subie comme aux soldats qui l’ont “faite” et au-delà, c’est l’absurdité même de la guerre qui est mise en exergue.
On peut y trouver également une forme de parabole sur la culpabilité que l’on s’inflige et la nécessité du pardon à soi-même. Les rôles du père et du fils mettent en perspective, symboliquement, l’impact de l’histoire sur les générations qui se suivent en portant en eux la marque inconsciente des évènements passés.
Les pleurs du vent de Medoruma Shun, la mélopée saisissante d’une âme errante. En librairie depuis le 3 octobre dernier.
Éditions Zulma,
Traduction de Corinne Quentin,
128 pages,
Héloïse