Préparez vous à voir toute votre innocence jetée aux ordures. A lire une bande-desinée aux accords crasseux et anarchistes d’un son punk. A ne plus lire votre Journal de Mickey aux WC avec autant de candeur. Car Winshluss a décidé de réécrire l’Histoire de Donaldville à sa sauce, sans faux-semblants, sans mosaïques cryptées, armé de son trait charbonneux et de sa verve sale et acide dans ce one-shot venu d’ailleurs qui digère cette madeleine de Proust au sens propre comme au figuré.
Mickey et son pote Dingo décident d’aller prendre l’air autour d’une petite partie de pèche-bâton de dynamite sans faire gaffe qu’ils sont en plein coeur d’une zone militaire; ni une ni deux, avant même que les deux BFF n’aient le temps de récupérer le moindre poisson, voilà que le général de la base leur envoie une bombe nucléaire sur le museau pour leur demander gentiment de mettre les voiles.
Légèrement irradiés, Dingo et Mickey rentrent dans leurs maisons respectives, avec l’impression d’encaisser une mauvaise gueule de bois…
Peu à peu, les bactéries nucléaires prennent le pas sur les anticorps de Mr Mouse, qui se réveille de plus en plus hirsute et de plus en plus badass. Rien à faire de Minie, mégère ambigoudinnée fumant clope sur clope, Mickey devient un habitué des ruelles sombres et glauques, des coups d’un soir et des bars. Jusqu’au jour où il se lève carrément transformé en… gros rat portant un short. La panique s’empare de la ville fece à ce monstre et bientôt Donald prend la tête d’une horde façon chasse aux sorcières pour régler son compte à cette grosse bestiole mutante.
De son côté, Dingo comate chez lui, ses gènes bouillonnent tandis que Plutox roupille sur sa niche, jusqu’au moment où il se met à gonfler de partout et à se retrouver métamorphosé en une sorte de DingHulk détruisant tout sur son passage sous l’effet de la panique (et surement aussi parce qu’il est un peu énervé, il faut dire que les effets du nucléaires sur des neurones déjà bien grillés peuvent rendre un peu stressé).
Au final, après pas mal de rebondissements tous plus improbables et tordus les uns que les autres, la bourgade deviendra une belle foire aux monstres, comme si les penchants inhumains de ces créatures anthropomorphiques avaient éclaté sur leurs apparences autrefois bien proprettes.
En seconde partie de Super Negra, Caroline invite ses amis à sa soirée de merde et La femme est-elle nuisible au récit d’aventure? viennent compléter The Mickey Mutant Show pour finir en beauté ce lancer de bombes nucléaires et ces tires de kalachnikov sur les héros régnant sur le monde de la BD internationale. Tintin devient Jean-Jean et se fait plumer par une Castafiore peroxydée emplie de MST tandis que Caroline voit Noiro Boum et Youpi venir squatter sa boum et retourner son appart’.
Mickey, son fidèle ami Dingo, Minie, Riri Fifi Loulou, Géo Trouvetou; tout le gratin Disney est convié dans ce one-shot infernal aux allures d’orgie post-apocalyptique. Winshluss reprend les codes de notre enfance, les personnages qui l’ont bercée et prend plaisir à les plonger dans un univers plus concret, plus réaliste et bien sur plus choquant.
En effet, même si les situations qui s’enchainent sont poussées à l’extrêmes de l’incongruité et du trash, au final l’auteur apporte un nouveau souffle à la joyeuse mascarade édulcorée des habitants de Donaldville. Car il est clair qu’à travers Super Negra, Winshluss ne se contente pas de parodier ces personnages disneyiens mais casse la redondance de leurs aventures répétitives en bousillant la charte propre et réglée comme du papier à musique des habituelles aventures de Mickey et compagnie. Il est évident que les loques défilants clopes au bec dans Super Negra sont des rébus de la société, des êtres pathétiques irradiés se vautrant dans tous les vices possibles, mais pourtant ils n’en sont pas plus avilis que ceux des bandes-dessinées originales, eux-mêmes enfermés dans une boucle étriquée et immaculée.
Irrévérencieux et trash du début à la fin, Super Negra est un one-shot aussi court qu’efficace. Malgré sa finesse et son format, c’est du grand Winshluss comme on l’aime: caustique, noir, anxiogène mais délectable. En trois histoires courtes débordant de cynisme et de malpropreté, il réussit à décrire une barbarie humaine toute contemporaine. De son trait crade et carbonisé, il malmène cruellement et sans vergogne ces entités pseudo-intouchables.
Pour les fans de l’univers Disney, pour les admirateurs de Tintin et les nostalgique de Caroline et ses amis, cette radiation phylactériale peut aussi bien choquer et dégouter que s’apparenter à un vrai plaisir. C’est ce qui fait le talent de Winshluss, artiste controversé mais au combien génial qui n’a pas peur de trop en faire pour repousser ses lecteurs dans leurs derniers retranchements.
Editions Les Requins Marteaux
40 pages
Caroline