Le Japon et sa scission entre tradition et modernité, ses building qui percent le ciel et ses temples ancestraux couverts de mousses… Nicolas de Crécy rend hommage à cet archipel en dehors du temps dans un incroyable travail d’illustration et de mise en page abordant les thématiques des Yôkais et des Haïkus.
Intitulé Un Monde Flottant, cet album se déplie pour laisser admirer ses aquarelles délicates et empreintes d’un mysticisme évoquant l’Emaki, le rouleau peint traditionnel. Ce livre-objet a également la seconde particularité de se lire recto-verso, les images jouant sur les deux faces des pages, appuyant ainsi encore plus sur l’idée de dimensions entrecroisées flottant entre deux eaux.
Les Yôkais sont des créatures surnaturelles, sortes d’esprits farceurs apparus à l’époque animiste Shinto au Japon. Souvent inoffensifs, ils sont issus directement de la nature, des éléments et prennent des apparences aussi loufoques que variés; dragon, démons mais aussi créatures aux traits humains, dont les desseins sont comparables à ceux des êtres maléfiques du folklore européen tels les vampires ou les goules.
Très souvent représentés dans les manga et les animes, ils sont pourtant très profondément ancrés dans le décor nippon et l’imaginaire collectif. Chacun d’eux a un rôle bien défini; parmi les plus connus on peut retrouver les tanukis, dont les statues coiffées de chapeau de paille et affublées de testicules démesurés sont disposées aux alentours des temples et des restaurants. Nicolas de Crecy nous donne aussi l’exemple de l’Akaname, créature anthropomorphique qui vient lécher la crasse des baignoires la nuit: ce soucis de diversité et de détails tant qu’aux rôles qui leur sont attribués que leur apparence physique propre témoignent de la précision, du rapport au vivant et également de l’humour si présents dans l’archipel.
Leur rusticité décalée donne le contrepoids aux Haïkus: ces textes brefs et sobres, constitués de trois vers de cinq, sept et cinq syllabes sont la forme de poésie la plus concise, directe et épurée qui existe. Ils possèdent un rythme chantant très particulier, assez dissonant pour une oreille occidentale qui peut les trouver vides de sens. S’appuyant sur la portée de ce qui reste tu, l’existence palpable du vide, ils sont étroitement liés à l’héritage zen. Mélodieux et mystérieux, ils laissent un large espace de réflexion propre et de libre-arbitre afin que chaque lecteur puise méditer et accepter le message à sa manière.
Dans Un monde flottant, Nicolas de Crécy réunis la légèreté emplie de philosophie des Haïkus et la tempérance superstitieuse des Yokais dans des illustrations inspirées des Ukiyo-e (gravures sur bois dont le nom peut d’ailleurs être traduit par Images d’un monde flottant) où les esprits fantasmagoriques évoluent dans des décors visités par l’auteur.
Tokyo et Kyoto prennent vie dans ses aquarelles délicates, ses décors mélancoliques à la mine de plomb et ses gouaches vibrantes, et les Yôkais s’inscrivent dans ce monde qui est le leur. Parfois gigantesques, parfois discrets, leur présence crée un décalage entre une scène réelle et une ambiance fantasmagorique: clair-obscur, échange texte-image, tout s’imbrique avec une cadence qui inspire à la paix et à la découverte de ce pays.
On peut donc dire sans hésitation que Nicolas de Crécy a réussi à reproduire un bout de l’âme nippone à travers ce livre. Plein de douceur et de magie, il a crée une passerelle vers un autre monde, un monde flottant.
Editions Soleil
Collection Noctambule
62 pages
Caroline