Corée du Sud, fin des années soixante. Un vieillard asocial, alcoolique, à l’« allure misérable » et qui n’a pour seules affaires que le contenu d’une « méchante valise » emménage dans une chambre tournée vers le nord d’une vieille maison en copropriété. Il ne parle pas, ou très peu, et ses voisins se mettent alors à imaginer toutes sortes de récits à son sujet. Mais il n’en est qu’un seul, et Hwang Sok-yong s’apprête à nous le raconter…
Le vieillard pathétique est en réalité un ancien médecin. Professeur Han Yongdok de l’Université de Pyongyang rebaptisée l’Université Kim Il-sung. Nous sommes désormais dans les années cinquante, la guerre des deux Corées bat son plein et l’envie de fuir le Nord pour le Sud se fait sentir. Han tardera à partir, il y a tant de femmes et d’hommes qui souffrent de la guerre, mais il faut tout de même se résoudre pour soi, pour les siens, traverser le Daedong glacé, laisser s’évaporer les dernières images de ses proches, plus faibles, que l’on promet de revenir chercher, très vite.
Han Yongdok se retournait de temps en temps. Sa femme qui le suivait à pas menus ressemblait à une frêle figure dans une peinture pointilliste : des flocons s’étaient posés sur ses cheveux ; son visage, toute sa silhouette s’estompaient au fur et à mesure que la couche de neige s’épaississait sur le sol. Lorsqu’il vit cette vaste étendue blanche qui le séparait d’elle, une angoisse soudaine s’empara de lui et son cœur se serra.
Jugé anti-communiste au Nord et désormais espion de cette même armée qu’il a fui au Sud, la vie de Han Yongdok ne sera qu’une longue descente aux enfers ponctuée de tentatives de reconstruction.
Il n’était plus ni professeur, ni réfugié, rien d’autre qu’un simple morceau de chair et d’os offert à la cruauté d’une époque de folie.
À travers le récit d’un réfugié, « et rien d’autre », symbole d’une époque, Hwang Sok-Yong met en scène la chronique d’un pays brisé, des petites gens qui partagent pourtant la même culture, la même langue, amenées à se détester, à se soupçonner, dans un style dénudé qui laissent les faits s’exprimer d’eux-mêmes. Il n’est pas étonnant que ce texte écrit dans les années soixante-dix soit devenu un classique de la littérature coréenne, parlant encore aujourd’hui aux Coréens comme au monde entier, spectateur d’une tragédie sans précédent. Les éditions Zulma proposent une réédition de cette œuvre majeure traduite et postfacée par Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet.
Sonia.
Monsieur Han, Hwang Sok-yong.
Trad. Choi Mikyung et Jean-Noël Juttet.
Zulma, janvier 2017, 132 p.