© illustration Denis Dubois
Poésie, pour un lecteur, c’est souvent peu engageant. Mais alors gérondif, ça nous rappelle aux déclinaisons, à la grammaire française, voire latine. Bref, pour la majorité, des souvenirs douloureux. Et puis la grammaire n’a rien de poétique. Sauf quand c’est Jean-Pierre Minaudier qui s’en empare. Historien et traducteur, celui-ci a une passion dévorante : les grammaires du monde entier. Collectionneur, il possède plus de mille livres concernant près de 900 langues … La bibliothèque la plus snob de Paris comme il l’écrit. Des grammaires plus addictives que les romans policiers à le lire.
Jean-Pierre Minaudier, à travers cet essai, se révèle être le grand-père excentrique qu’on adore, le professeur si passionné qu’il ferait aimer la géométrie dans l’espace à ceux qui n’aiment pas les maths, l’invité rêvé pour un dîner mêlant érudition et drôlerie. Tout au long des 160 pages de cet essai, il raconte son amour pour les grammaires, pour la diversité et la richesse inouïe des langues. Il parle grammaire – citant compléments, verbes transitifs, infixes – sans jamais perdre son lecteur, avec une simplicité évidente. Comme il l’explique, la grammaire n’est complexe que si on donne à l’apprendre sans l’expliciter. Derrière des règles obscures se cachent des raisons concrètes. Mais au-delà de la grammaire, c’est aussi des cultures des locuteurs et des linguistes qu’il parle. De notre vision du monde conditionnée par l’univers linguistique dans lequel nous évoluons. Notre environnement ne se structure pas de la même façon selon qu’on se réfère à la gauche et la droite ou bien aux directions de la terre et la mer. Le temps s’écoule différemment, les relations également : contrairement à nos habitudes, certaines langues (le kurde ou encore le bilua) ont un genre global féminin, le masculin devenant l’exception.
« Une grammaire est une espèce de grand sudoku : par déductions successives, il faut rassembler les pièces d’un puzzle logique […] Mais il y a bien plus : ma conviction profonde est qu’une grammaire, c’est avant tout du rêve et de la poésie. »
Parmi le plaisir de collectionneur de Jean-Pierre Minaudier, il y a aussi son petit panthéon personnel : les langues à records. Ainsi le !xoon, idiome africain, connaît plus de 120 consonnes – un calvaire pour les linguistes transcripteurs -, le navajo dont la politique linguistique extrémiste interdit l’emprunt étranger – risquant des phrases à rallonge pouvant mettre en danger le locuteur -, le japonais et ses impressifs donnant un ton d’humeur à une déclaration – butu-butu sous entendra ainsi un grommellement -, ou encore le beztha qui compte pas moins de 60 cas à décliner – un bonheur pour l’apprentissage rapide ! Véritable ode à la diversité linguistique, Poésie du gérondif nous emmène dans un court mais intense voyage d’anecdotes grammaticales exotiques. Une première qui donne envie de repartir découvrir plus profondément ces nombreuses langues, et notamment le souvent méprisé basque, véritable bijou d’après l’auteur. On notera, pour terminer, un usage jouissif de la note de bas de page – si négligée aujourd’hui -, des références bibliographiques drôlement commentées et sur chaque page, des expressions dans des langues méconnues, explicitées en fin d’ouvrage.
Éditions Le Tripode,
156 pages,
Aurore.
Un moment d’exception,sur un sujet exceptionnel et drolatique. Merci, je me suis régalé.