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Patrick DeWitt – Heurs & malheurs du sous-majordome Minor

Patrick DeWitt avait beaucoup fait parlé de lui avec son western loufoque et palpitant, l’excellent « Les frères Sisters ». Un succès critique et public et une future adaptation de son roman au cinéma par Jacques Audiard en 2018. Pour son troisième roman, l’auteur s’aventure dans de sombres contrées que nous pourrions qualifier d’européennes, une histoire loufoque, à la frontière des genres avec cette même passion et cette même tendresse que nous connaissions déjà chez cet auteur pour ces personnages. En route pour le château Von Aux et ses galeries de protagonistes.

Lucien Minor, dit Lucy, est un jeune homme sans expérience de dix-sept ans lorsqu’il quitte la maison de sa mère. Ayant accepté un poste de sous majordome dans un château en plein milieu d’une sorte de massif alpin. Après quelques adieux, une déception amoureuse, et un goût amer, c’est une nouvelle vie qui démarre pour ce dernier. L’opportunité de devenir un homme, de se construire. Le château Von Aux est un endroit lugubre, le Majordome est plutôt discret et secret, la cuisinière est autoritaire malgré une cuisine désastreuse, mais il ne faut surtout pas le dire trop fort. Quant au baron Von Aux… inexistant ? Absent ? Cloîtré dans sa chambre, il ne donne de ses nouvelles que par des lettres qu’il fait porter à la gare. La destinataire de ces dernières ? La baronne, qui a quitté le château quelque temps auparavant. Prenant la place du précédent sous majordome ayant mystérieusement disparu, notre héros va très vite prendre ses marques et ses repères dans ce nouvel univers. Après tout quoi de plus facile, il est finalement assez peu sollicité. L’exploration de la ville va devenir son passe-temps et la rencontre avec Klara une révélation qui va petit à petit transformer Lucy.

« Le train fila vers l’est à travers la grande vallée verte avant de grimper dans les montagnes, serpentant toujours plus haut sur les rails en lacets amples et interminables. Tandis que les étoiles s’illuminaient, Lucy eut l’impression que le train accélérait la tombée du soir en plongeant dans le ventre du ciel. Il s’assoupit, assis, soutenu par un corps de chaque côté. »

À la lecture du dernier roman de Patrick DeWitt le terme « Picaresque » me trottait dans la tête. Parcourant les pages, enchaînant les chapitres, cette sensation restait en filigrane, titillant à chaque instant mon expérience de lecture.
Mais voilà, le propre du roman picaresque est de centrer l’excentricité sur un seul personnage et par extension de faire ressentir l’univers souvent misérable et loufoque de ce dernier aux lecteurs. Ce qui par conséquent met « Heurs et malheurs du sous-majordome Minor » hors concours. Nous ne sommes pas face à un Don Quichotte, dans le sens où l’excentricité est le monde dans lequel vit le personnage. Lucy démarre en total décalage avec cet univers, un jeune homme qui souhaite avant tout, de son propre aveu, « ne pas mourir » lorsqu’on lui demande ce qu’il espère de l’existence. Son arrivée au château, son travail, ses rencontres et Klara en particulier vont changer ce jeune homme, le remodeler, en quelque sorte le normaliser. Alors que le monde dans lequel il vit reste quant à lui toujours aussi particulier, absurde par bien des aspects, et quelque part étant le reflet d’un monde fantasmagorique vers lequel nous pourrions sombrer à tout moment. Dans un monde fonctionnant de manière assez bancale, nous assistons à la naissance d’un homme en devenir.

« … il songea alors à la façon dont il occuperait ses journées et décida de se renseigner sur les tâches qu’il aurait à accomplir.
“Plus facile de poser cette question que d’y répondre, répliqua M. Olderglough. Les jours varient, donc nos besoins aussi. En gros, je crois que la charge de travail te semblera légère parce que tu auras certainement beaucoup de temps libre. Mais ensuite vient le sujet de ce qu’on fait pendant son temps libre. Il m’est parfois arrivé de penser que c’était la partie la plus difficile du travail ; et même, la partie la plus difficile de l’existence, tu ne crois pas, mon garçon ?” »

Le dernier récit de Patrick DeWitt ose se jouer des styles et prône le faux semblant pour mieux balader le lecteur. Un décalage qui avait déjà fait parler de lui dans son précédent roman. Mais quelque chose en plus opère ici. Plus de finesse, plus de justesse dans les dialogues, plus d’humanité dans les personnages. Un tout plus cohérent et plus touchant. Et quand arrive la fin de l’histoire, c’est avec un pincement au cœur que nous disons au revoir à Lucy, lui souhaitant bonne route.

Finalement, nous pourrions sans trop prendre de risque considérer « Heurs et malheurs du sous-majordome Minor » comme un hommage aux romans européens. Comme une vision, une interprétation, un énorme clin d’œil à tout ce qui a pu marquer Patrick DeWitt dans son parcours de lecteur et qu’il a voulu à son tour utiliser en tant qu’auteur. Il y a du Kafka, du Cervantes, du Dumas ; il y a le château des Carpates, du tsigane, ou encore des ambiances lorgnant avec une certaine littérature anglaise du siècle précédent. Un joli clin d’œil pour un superbe roman picaresque d’aventures, mais avant tout un roman initiatique débordant d’humanité.

Actes Sud,
Trad. P. & E. Aronson
400 pages

Ted.

À propos Ted

Fondateur, Chroniqueur

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Un commentaire

  1. But atteint, ça donne envie de le lire ! Comme souvent dans les chroniques de ce blog.

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