Orhan Pamuk, Prix Nobel 2006, est un homme engagé et un écrivain talentueux . La maison du silence est l’un de ses premiers romans.
” (…) on ne peut pas recommencer sa vie, ce voyage à sens unique une fois terminé, on ne peut plus le refaire, mais si l’on a un livre à la main, et même si ce livre est confus et mystérieux, une fois qu’on l’a terminé, on peut le reprendre du début, si on le désire, on peut le relire, afin de comprendre ce qui est incompréhensible, de comprendre la vie, n’est ce pas Fatma ?”
De son vivant, Sehalattine voulait écrire un livre qui puisse tout expliquer : “les sciences naturelles et toutes les autres, la science et Dieu, l’Occident et la Renaissance, la nuit et le jour, le feu et l’eau, l’Orient et la notion du temps et de la mort et de la vie, la vie. La vie !” Son encyclopédie devait bouleverser la société orientale et le fondement de ses croyances, elle devait changer le monde, il en était certain.
Fatma s’en souvient comme si c’était hier, elle l’entend encore, sa voix surgit à travers elle, la hante.
Aujourd’hui alitée, acariâtre et amère, elle ressasse le passé sans discontinuer. Perdue dans les méandres de ses souvenirs, elle sort de sa torpeur seulement pour invectiver Rédjep, à son service depuis des années. Entre eux se dressent les secrets de famille, la trahison de son mari et la mort de son fils…
Comme chaque été, Farouk, Nilgune et Métine viennent passer quelques temps chez leur grand-mère, Fatma. Ils retrouvent Fort-Paradis et leurs amis d’enfance, changés, comme eux sans doute.
Nilgune, Métine, Farouk, Hassan et ses amis représentent la jeunesse turque de la fin des années 70 : effrontée et rêvant d’un avenir meilleur. Partagés entre préoccupations politiques et sociales, turpitudes amoureuses et virées en voiture, chacun voit l’avenir à sa manière.
Tandis qu’Hassan fait la chasse au communiste, Métine rêve des Etats-Unis et Nilgune d’une société plus juste. De son côté, Farouk cherche le secret de l’histoire et un sens à son existence, entre les archives et l’alcool. Son objectif, raconter l’histoire du monde débarrassée de toute fiction. Cette œuvre il l’écrira “non pas pour changer le monde, non, rien que pour dire ce qu’il est.”
“pour pouvoir vivre en paix, pour te croire capable de saisir un bout de l’univers, pour le faire pencher du côté que tu désires, ou encore pour des raisons de morale, tu as besoin d’une histoire qui puisse tout t’expliquer, sinon, on devient fou (…) !“
C’est avec une grande acuité qu’Orhan Pamuk nous plonge dans les monologues intérieurs et les conflits existentiels de chacun. On ressent le désœuvrement des personnages, leurs tiraillements constant entre passé et présent ainsi que le poids du secret qui pèse silencieusement sur la maison familiale.
À travers eux et leur perception du monde, l’auteur retrace l’histoire de la Turquie : les changements de régimes, les confrontations idéologiques, sa culture, les espoirs et les désillusions, nombreuses. Coincée entre Occident et Orient, entre conservatisme et progressisme, la Turquie semble avoir du mal à tirer partie de sa situation géopolitique et à se libérer des conflits qui la déchire.
La maison du silence est de ces livres qu’on peut lire et relire. Il y a toujours quelque chose à apprendre, une réflexion à approfondir, une vérité qui nous avait échappé. Les mots et les situations ont un écho sensiblement différent à chaque fois. Selon l’état de la société, notre état d’esprit, on perçoit différemment ce que nous avions pu saisir la première fois : une idée, la manière dont tourne le monde, comment notre propre existence influe sur notre vision du monde, nos croyances et nos idéaux.
Éd. Folio, 2010 (V.O 1983, 1re trad. 1988)
476 pages
traduit du turc par Munevver Andac
Pauline