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Fergus, année sauvage de Jaunay Clan paru aux éditions les Allusifs

Jaunay Clan – Fergus, année sauvage

Fergus est un jeune garçon un peu particulier. Bien que n’étant pas le moins du monde muet, il ne parle pas, préférant communiquer avec les autres grâce au langage des signes. Chez lui, il passe plusieurs heures à regarder le lave-linge tourner. Il aime ses parents et il admire par-dessus tout son frère Frany. Il se demande combien peut peser une idée et selon lui à chaque chiffre correspond à une couleur. Fergus est un adolescent qui parfois a des crises. Hurlements. Déchaînements. Incapable de se contrôler, il peut rapidement devenir difficile à gérer. C’est pourquoi, dès l’âge de sept ans, il a été placé dans un centre spécialisé appelé Beauséjour.

Sur un cahier offert par un ami, il décide de raconter son histoire à sa façon. On apprend donc qu’il vit à Beauséjour depuis déjà sept ans, entouré de professeurs, d’un psy, d’éducateurs et du directeur de l’établissement pour jeunes garçons comme lui. Il voit l’endroit comme un genre de refuge où les « tarés » sont séparés des « dit-normaux », mais qu’il trouve finalement assez rassurant. Il considère qu’il y a le Fergus de Beauséjour et le Fergus des Saules, là où se trouve la maison familiale, et Fergus ne peut supporter d’être deux. Il préfère donc être un à Beauséjour.

Là-bas, sous le haut patronage de Melville et du capitaine Achab, son univers se déploie autour de ses plus proches amis : Fred, Doublefacette et surtout Grain de riz, qui lui a offert le fameux carnet et à qui il a promis une amitié éternelle.

Très attaché à sa mère, Fergus vit également dans l’attente d’entrevoir son frère, Frany le remuant, toujours parti par monts et par vaux, qui enfourche sa moto et se fait courant d’air. Frany qui n’est jamais là les week-ends où Fergus rentre aux Saules.

Entre les cours passablement chahutés et les séances de thérapies, les sorties organisées dans le village voisin et les lectures de Moby Dick, la vie s’écoule aussi paisiblement que possible au centre. Jusqu’au jour où une nouvelle psy vient pour déterminer lesquels des garçons sont aptes à retourner chez eux et à quitter définitivement Beauséjour.

Pour son entourage, Fergus, quoique très attachant, reste un profond mystère. Un adolescent qui répond à côté quand on lui pose des questions, qui éprouve de grandes difficultés à nouer des liens autres qu’avec ses amis :

Être face à ce garçon, c’est rouler d’un ciel à l’autre, saisir que jamais l’humain ne s’achève.

Pourtant, on découvre très vite que l’adolescent a sa propre façon de s’exprimer, et qu’il voit le monde avec les yeux d’un poète.

En effet, dans le roman de Jaunay Clan la voix de Fergus est portée par un langage poétique, fait d’un registre fortement lyrique et d’images tantôt métaphoriques, tantôt allégoriques. Car la poésie est ici la seule langue envisageable quand le langage fait défaut. Elle constitue un pont entre deux mondes, celui des Saules et celui de Beauséjour, elle permet de relier l’inaccessible au quotidien. Elle seule peut exprimer ce qui se déroule dans la tête d’un adolescent comme Fergus, quand les mots sont tout simplement insuffisants.

Sa musique est un silence sonore, une eau souterraine qui épaissit l’espace et anéantit le vide. Ca part de la tête, grimpe jusqu’au bout des arbres, recouvre les pentes des toits, redescend, tremble les blés et glisse la terre sous les pieds. C’est une grande saison dans laquelle on entre.

La difficulté de s’exprimer, de se faire comprendre, de se comprendre, telles sont les épreuves quotidiennes vécues par les pensionnaires de Beauséjour. Mais, Fergus et ses trois amis ont entre eux un langage bien particulier, une façon de s’appréhender et de se soutenir les uns les autres qui passe notamment par l’art.

Lui s’intéresse à la musique, aux sonorités produites par ses camarades du centre, ces cris irrépressibles quand ils jouent ou qu’ils s’énervent, faute d’avoir pu s’expliquer, faute d’avoir été rassurés. Il décide d’en faire une performance et monte un orchestre silencieux, ce qui provoque l’adhésion générale de ses camarades et l’incompréhension d’une grande partie de leurs parents. Lui voit ce projet comme une façon de produire quelque chose de toute cette énergie incontrôlable et dévorante qui l’habite lui, comme l’essentiel de ses amis :

Nous sommes réunis pour discuter de l’orchestre. Une heure vient de s’écouler. Nos silences rentrent de tout leur poids par nos épaules, et des roues tournent dans nos têtes-moulins.

Mais la littérature tient également une place toute particulière dans le monde de Fergus. Déjà parce qu’elle est fondamentale pour Grain de riz, qui, partout où il va, se promène avec un livre à la main. Ensuite parce que les garçons du centre aiment à se retrouver autour de Monsieur Jacob qui leur fait la lecture de Moby Dick. Enfin parce qu’elle est indissociable de l’acte d’écriture, qui, bien qu’en apparence très discret, est fondamental dans le roman.

Considéré comme prometteur par son professeur de français, Fergus est sommé de se plonger dans l’écriture de fiction, afin de tenter de structurer sa pensée et de la rendre accessible à ses potentiels lecteurs. Ce qui, au début, le terrifie :

On se servait de l’extérieur pour raconter et de l’intérieur de soi pour écrire. Plonger en moi-même est la chose la plus affreuse qui puisse m’arriver et ce que je redoute par-dessus tout.

Mais l’acte d’écriture viendra par la suite, symbolisé par ce carnet offert par Grain de riz et mentionné tout au début du roman.

La voix de Fergus est une voix touchante, particulière, qui foisonne d’images et qui, dans l’univers de papier du roman, se mêle avec d’autres. Celle de sa mère, celles de son entourage. Parce que, libérée des contraintes prosaïques, pragmatiques, rigides, c’est une voix qui exprime la capacité de cet adolescent à ressentir.  Elle met en mots des émotions complexes, qui, sinon l’enferment en lui-même. Elle s’oppose notamment aux discours des adultes du centre, ne serait-ce que par la façon dont ils appellent les amis de Fergus par leurs vrais prénoms.

Jaunay Clan signe ici un beau roman qui sublime la différence et célèbre l’amitié. Un roman aux envolées poétiques qui aborde avec délicatesse les liens particuliers tissés entre des ados comme Fergus et leur entourage. Un roman sur l’ouverture au monde et sur le langage, qu’il soit décryptable ou pas par les institutions, les professeurs et les médecins, pourvu qu’il dise la beauté et l’étendue des mondes intérieurs.

Fergus, année sauvage - Jaunay ClanFergus, année sauvage

de Jaunay Clan

Paru aux éditions Les Allusifs.

200 pages.

 

 

 

 

 

 

 

Hédia

 

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Chroniqueuse

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2 Commentaires

  1. <>

    Amicizia tutti,

    J’espère que vous allez bien et me décide enfin à écrire un petit mot après avoir parcouru très rapidement le descriptif de dizaines de “dernier(s) livre(s) avant la fin du Monde”, pour vous recommander “A la recherche de la vie intérieure” de Patrice van Eersel -le même auteur que “Le cinquième rêve” dont j’ai entendu parler grâce à la plus belle émission radiophonique de l’Univers et de plus loin encore, “La Planète Bleue” – https://www.rts.ch/play/radio/la-planete-bleue/audio/la-planete-bleue-no-935?id=8509652

    Pierre

    P.S. Je me retrouve passablement dans la description de Fergus …

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