Et bim! Deux fanzines débarquent chez les Editions le Berbolgru, dont je vous avais parlé au sujet de l’OVNI-cabaret, la revue collective Madame ici.
Cette fois-ci le format est tout autre: l’un met en lumière le travail aux influences Pop-Art de Paul Rentler pendant que le second regroupe plusieurs nouvelles mordantes de Benjamin Zafra. Ces deux « Zines Flafla» fait respectivement de collages et de mots, retranscrivent avec désinvolture et acidité le quotidien d’un 21ème siècle qui fonce à la vitesse de la lumière tout en gardant des préconceptions archaïques.
Scraps Comix est le tout premier recueil du travail de Paul Rentler en Europe: touche-à-touche, cet artiste américain nous livre ici une lecture d’un genre nouveau: à chaque page son collage, et l’ensemble crée un récit digne d’un bad trip où le lecteur complète à sa sauce le lien conceptuel liant ces oeuvres.
Dans l’univers de Paul Rentler, les personnages de la culture pop se rencontrent et se mélangent pour créer un bestiaire bizarroïde qui tient la route. Et c’est surement ça qui se ressent principalement dans ces 54 pages: que ces créatures pèles-mêles monstrueuses restent totalement plausibles malgré leurs imbroglios farfelus.
Déjà présents dans Madame 6, son Photocopy Art ne laisse pas indifférent et cible un large pan générationnel, mixant un Bob l’Eponge goudronneux au bonhomme Michelin des années 30, bradant un Skeletor à 1.98$ et mettant en scène une Wonder Woman rétro en pleine course avec un Dingo bon enfant…
Mélangeant les trames, superposants les personnages, appuyant sur le gras d’une typographie, apportant un côté coulant noir comme du bitume à ses assemblages, Paul Rentler passe de la baston au câlin zombiesque en passant par un arc-en-ciel noir et blanc de situations saugrenues aux airs résolument Pop-Art. Ce Scraps Comix paru aux Editions du Berbolgru est une satyre bédéesque de notre société de consommation caustique et exquise, qui donne envie d’en voir plus sur cet artiste dont le talent a été repéré par les Editions DC Comics!
Impec! est un recueil de deux textes fictifs et d’un récit autobiographique où l’ écriture sans artifice de Benjamin Zafra nous ouvre les portes d’un monde absurde et subtilement tordu.
Merci Monsieur Impec! où Monsieur Thomas Mongo, employé modèle, se voit affubler d’ Azzedine, le petit nouveau qui ne semble pas prendre son boulot d’agent d’entretien autant à coeur que lui.
Tout bascule quand ils tombent sur Le Gaulois alias le principal client de la société, tout bourré dans le couloir d’un immeuble de standing. Voilà le traintrain bien huilé de Monsieur Mongo qui prend une tournure particulière, surtout quand les deux employés se voient donner l’ordre d’accomplir le moindre des souhaits de l’ivrogne sous peine de renvoi, même en cas de demande incongrue ou de situations extrêmes.
Les personnages de Benjamin Zafra sont stéréotypes à l’extrême: Le Gaulois est un blanc bien raciste comme il faut, Monsieur Mongo est docile et avant tout soucieux de faire au mieux possible même si il doit acquiescer des remarques pourrissant sa culture, tandis qu’Azzedine ne sait pas sur quel pied danser et semble voir l’absurdité de tout ce bazar.
“Un mur crépi de frais avait été entièrement tagué dans la nuit. L’inscription disait “LE TRAVAIL AUX FRANÇAIS”. Azzedine s’approcha du mur, enfila ses lunettes de protection et commença à le nettoyer. Le jet de glace avait à peine atteint le graffiti que Monsieur Mongo, hors de lui, accourut et baissa le pistolet d’un geste véhément:
-Mais qu’est-ce que je t’ai dit? Nous on doit nettoyer le numéro 6, et ça c’est le numéro 4, tu n’écoutes rien ou quoi?
[…] Mongo s’en alla sans rien dire et disparut derrière le bâtiment. Azzedine chercha se qu’il avait à nettoyer et finit par trouver. C’était une petite inscription au marqueur faite à côté du digicode. C’était écrit “Samira je te kif trop”. Azzedine remit le nettoyeur en marche et commença à effacer le graffiti. Moins de deux minutes plus tard, la déclaration d’amour n’existait plus.”
Vive le CDI! nous plonge dans la routine entêtante et aliénante d’une usine de tri où l’auteur a visiblement trimé. Auprès de ses collègues pour la grande majorité d’origines « non-gauloises», il exerce le travail de « fusionneur », terme un peu pompeux désignant une personne qui réuni plusieurs tracts publicitaires et les assemble à l’aide d’une pliure. Rien de bien réjouissant en somme, surtout lorsque les pubs de Noël pleines de jouets, de foie gras et autres festivités sont regroupées par une pliure d’Action contre la faim.
Mais le pire dans tout cela, c’est que seul le protagoniste semble s’apercevoir du grotesque de la situation, les autres membres de l’équipe étant obnubilés par la place de chef du tri vaquante et les coupons de réductions leur permettant d’acheter 6 packs de lessives pour le prix de 5 et un quart. La tête dans le guidon, ils suivent le cours de leurs petites vies mornes, grignotés un peu plus chaque jours qui passent par une société de consommation en surenchère constante, dont ils sont les prisonniers mais aussi le terreau.
“Je devenais fou, pas à la manière de Damien, mais à la mienne. Un soir où j’étais saoul, je pris toutes ces publicités, la petite fille, les jouets et le foie gras, et j’en fis une sorte de collage cubiste maladroit que j’épinglais le lendemain sur le panneau réservé aux syndicats (panneau vierge, évidemment, puisque nous étions presque tous intérimaires). Aucune réaction. Le collage resta épinglé là pendant des jours sans que personne ne le regarde avant que l’agent d’entretien ne se décide enfin à l’enlever.”
La dernière nouvelle intitulée De la Muséographie nous fait visiter un musée d’un genre plutôt inhabituel en compagnie de son staff, sorte de microcosme à lui seul.
Alejandro dépoussière les furoncles, lustre le cuivre des commandes dirigeant la salle du Staphylocoque doré, et aux yeux des autres employés du Musée de la furonculose, il est une personne exemplaire qui cumule les CDD depuis plusieurs années.
Cependant, le succès du à la scénographie interactive de ce lieux fait des jaloux, notamment le directeur du futur Grand Musée de la Crise d’Angoisse, de l’Attaque de Panique et de la Tachycardie qui aimerait beaucoup rencontrer la même célébrité, et ce par tous les moyens, même si il doit en venir au meurtre et à la trahison.
Explosion de pus et de sécrétions en tout genre viendront provoquer un tournant des plus insolite à cette nouvelle d’espionnage, Benjamin Zafra personnifiant les vices et les envies humains les plus profonds en d’immense amas choucrouteux et purulents.
“Alejandro cherchait un passage par lequel s’enfuir, mais la salle d’exposition temporaire ne possédait qu’une seul accès. Il était coincé. Désespéré, il alla voir une des amygdales et l’agressa presque:
-Ton costume! Passe-moi vite ton costume, discute pas!
-Heu, t’es gentil, mais c’est pas possible. Il faut une demi-heure pour l’enfiler et une demi-heure pour l’enlever. Y’a pas de culture, mec! C’est tout d’une seule pièce! Et puis cette merde, c’est plein de trucs électroniques est de bras mécaniques pour la fair gigoter et suinter, ils sont scotchés à mon aide et à mon cul. Nan, y’a pas moyen, désolé.”
Tristesse satyrique d’une réalité où l’immigré et le travailleur de classe modeste sont encore considérés comme de simples outils et non pas comme des personnes à part entières par certain, Impec! est un recueil qui pousse le vice à l’extrême tout en parlant avec une justesse troublante du racisme, de l’intégration, du milieu ouvrier et du quotidien bien gris des gens qui ont peu de choses pour se faire entendre. Pourtant, à aucun moment on ne plonge dans l’abime larmoyant d’un pathos attendu: l’écriture y est vive, teintée de cynisme et d’ironie, bref, mordante.
Dans le paysage de la littérature indépendante, Benjamin Zafra se fait une place sans problème grâce à son écriture-uppercut: il appuie sur des sujets sensibles contemporains avec un style teinté d’humour noir, de second degrés mais aussi d’une mélancolie aux goût amer d’asphalte.
Editions le Berbolgru
Collection Flafla
Caroline