C’est par hasard que j’ai croisé le chemin de ce livre, dans les méandres du rayon des dernières parutions littéraires, des best-seller et des romans pour adolescents. Mon regard a été attiré par ces mains tendues, celle du singe et de l’homme, reprenant le célèbre mouvement de la fresque de Michel Ange.
La simple lecture de la quatrième de couverture a suffi à me convaincre de me plonger dans cette Lettre ouverte aux animaux (et à ceux qui les aiment) de Frédéric Lenoir, homme d’une incroyable polyvalence, alliant philosophie et sociologie et fondateur d’une association pour les animaux.
«C’est pour moi notre plus belle vocation: protecteurs et serviteurs du monde.» Si tous les humains pensaient de même, notre planète se porterait surement mieux, aussi bien dans l’épanouissement de sa flore que de sa faune. A travers un découpage simple et efficace par chapitre abordant différentes thématiques, Frédéric Lenoir s’adresse à ces êtres vivants que nous pensons si souvent et si injustement inférieur à nous.
Il parle de l’évolution de l’Australopithèque à l’Homo Sapiens, du rapport à la nature qui a évolué, passant de mère nourricière à celui d’élément exploitable et consommable, la vision des des animaux allant d’êtres sauvages à ceux d’outils et d’esclaves de notre société de consumérisme. Il explique le chemin qui s’est déroulé sur plusieurs millénaires, emprunté par nos ancêtres et qui nous amène finalement ici, devant une tradition culinaire développée autour des viandes et des poissons élevés en captivité, au coeur d’une industrie d’abattoirs et de traite du bétail de masse, dans un monde où nous sommes les agents provocateurs de la disparition de centaines d’espèces.
«Les animaux utilisés pour la recherche médicale, à qui l’on fait subir toutes sortes de traitements douloureux, sont qualifiés d’ “outils biologiques “. Ce vocabulaire fait d’euphémismes et de néologismes permet d’occulter la réalité et de nous donner bonne conscience.
(…) Puis l’idéologie scientifique moderne a pris le relais afin de pouvoir vous utiliser comme matériau de laboratoire. Vint enfin l’idéologie consumériste contemporaine, qui poursuivit dans la voie du différentialisme afin de promouvoir la consommation massive de chair animale. Bref, en vous réduisant, en vous dénigrant, puis en vous chosifiant, nous nous sommes octroyé en bonne conscience le droit de vous exploiter et de vous tuer.
Comme l’avait constaté Marc Twain: « L’homme est le seul animal qui rougisse; c’est d’ailleurs le seul animal qui ait à rougir de quelque choses.»
Ce chemin, qui a tout d’abord été pris timidement et simplement, est devenu une pente dangereusement glissante que nous pensons maitriser de part notre intelligence, que nous considérons comme écrasant toutes les autres. Dans un chapitre intitulé Nos Singularités, Frédéric Lenoir explique que plus le temps passe, plus nous pouvons observer et noter que chaque espèce animale possède des singularités lui étant propre, la plaçant au dessus des autres dans des domaines très précis et ainsi équilibrant les forces et les faiblesses. Au final, Mère Nature a donné au guépard le don de fouler la Terre à une vitesse hors du commun, aux oiseaux migrateurs une boussole interne que rien ne détrône, aux pachydermes une mémoire inaltérable et transmissible… A grand renfort d’exemples pointus et d’anecdotes extraordinaires, l’auteur nous fait découvrir les particularités du monde animal, parlant certes de notre langage articulé, mais aussi du papotage des abeilles et celui tout en ultrason des dauphins. Il énonce simplement que la vision d’une intelligence humaine dominante est faussée car elle jauge celles des autres espèces en se basant sur ses notions propres: “C’est parce qu’on a peu à peu posé aux animaux des questions intelligentes que leurs réponses sont devenues pertinentes” (Vinciane Despret).
C’est ce préjugé consistant à penser que nous sommes unique et que toutes les autres espèces ne sont qu’un vague aggloméra que l’on domine qui nous enferme depuis prêt de 2500 ans dans un carcan nocif pour nous-même, mais surtout pour les animaux.
«(…)On a comparé notre attitude discriminante envers les animaux à tous les types de discriminations raciales, sexistes, sociales, des sociétés humaines. De même que l’on qualifie de racisme l’attitude qui consiste à ne pas accorder les mêmes droits aux individus en fonction de leur race, ou de sexisme la même attitude discriminante en fonction du sexe d’un individu, ne pourrait-on parler de « spécisme » au sujet de l’attitude qui consiste à n’accorder des droits fondamentaux qu’aux individus d’une seule espèce?»
«On l’ignore souvent, mais du XIIe au XVIIIe siècle, les animaux ont fait l’objet de procès qui nous paraissent aujourd’hui extravagants, mais qui montrent comment se posait la question de savoir si vous, chers animaux, étiez responsables de vos actes. Ainsi en 1120, l’évêque Barthélemy déclara maudits et excommuniés des mulots et des chenilles qui abîmaient les récoltes. L’année suivante, il s’en prit aux mouches, qu’il excommunia là encore. On pourrait multiplier les exemples de charançons convoqués au tribunal solennellement et qui, ne s’y rendant pas, se voyaient désigner un avocat, puis condamnés à l’excommunication.»
En abordant un large panel de courant aussi bien philosophiques et religieux, Frédéric Lenoir souligne le parcours d’émancipation face au naturel que l’homme a réalisé, surtout grâce à sa capacité d’imagination, de projection au delà du visible et du palpable qui l’a mené à penser que « Seuls les hommes pouvaient s’adresser à Dieux », créant ainsi le fossé entre l’Homme et les animaux.
Il aborde également la thématique de la Lois, nous exposant sa priorité de créer un «Label éthique animal» afin de faire évoluer les mentalités autour du degrés de souffrance animale et de l’égard dû à chaque être. Ce label permettrait notamment la mise en place d’une réelle considération des animaux destiné à être consommé et d’une véritable traçabilité de la viande, permettant ainsi au consommateur d’acheter un produit plus cher mais aussi garant d’un respect de la vie animale.
Frédéric Lenoir, en tant qu’écrivain engagé, a déjà réussi à faire reconnaitre l’animal en tant qu’être sensible et non plus comme bien/meuble au sein du code Pénal: c’est surement sa vision éclairée, juste mais pour surtout réalisable qui lui permet de faire avancer les choses: il ne condamne pas l’homme omnivore mais propose «une évolution de nos modes de vie de consommation».
Lettre ouverte aux animaux (et à ceux qui les aiment) est une lecture qui m’a beaucoup touchée, qui m’a remuée et qui m’a fait réfléchir. Cet essais de Frédéric Lenoir est un ouvrage utile et intelligent, que l’on sent marqué par beaucoup d’humanité et surtout amour et de respect envers les espèces animales. Les citations qu’il a selectionnées tirées de philosophes de toutes les époques, les exemples sur lesquels il s’appuie et ses convictions propres sont aussi convaincantes que sensibles. En bref, c’est un texte engagé qui donne envie de s’impliquer pour nous et pour les autres, pour cette cause animale dont au final nous faisons partie intégrale, qui pousse à arrêter de se regarder le nombril et de reconsidérer un confort battit au détriment de bien trop de choses.
«Dés lors, faire preuve d’”humanité” ne signifie plus simplement respecter les autres êtres humains, mais aussi tout être vivant, selon son degré de sensibilité et de conscience. La vie s’est exprimée sur Terre à travers une foisonnante diversité. Puisque l’être humain est aujourd’hui l’espèce la plus consciente et la plus puissante, puisse-t-il utiliser ses forces non plus pour exploiter et détruire ces formes de vie, mais pour les protéger et les servir. C’est pour moi la plus belle vocation: protecteurs et serviteurs du monde.»
Editions Fayard
188 pages
Caroline