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Sur le mont gourougou, Juan Tomas Avila Laurel, Asphalte éditions, Un dernier livre

Juan Tomás Ávila Laurel — Sur le mont Gourougou

« Et l’histoire d’un continent qui se vide pour en remplir un autre doit être racontée depuis là où elle se fait. »

Au nord du Maroc, face à l’enclave espagnole de Melilla, des centaines d’hommes et de femmes noirs campent sur les pentes du mont Gourougou dans l’attente de franchir la frontière qui sépare l’Afrique de l’Europe. « Tous sur le mont étaient originaires du cœur même de l’Afrique, tous avaient un passé, comme Peter Ngambo, et un brillant avenir en Europe. » Organisés en petits groupes répartis en fonction de leurs langues (« selon l’histoire que les blancs nous ont laissée en partage »), les hommes jouent au foot toute la journée pour tromper le froid. Le soir, à l’entrée des grottes qui les abritent, ils se racontent à tour de rôle ce qui a poussé chacun d’eux à quitter son foyer pour venir habiter cette « résidence secondaire ». Juan Tomás Ávila Laurel, écrivain équatoguinéen exilé à Barcelone après une grève de la faim contre le régime dictatorial d’Obiang, donne la parole aux émigrés africains dans un livre fort qui raconte « l’histoire d’un continent qui se vide […] depuis là où elle se fait. »

Melilla, migrants, José Palazon, 2014
Photographie de José Palazón, Melilla, 22 octobre 2014.

Dans le froid de la nuit, ceux qui « ont la bonté de partager leur histoire » sont interpellés, pris à parti et interrompus par les commentaires de ceux qui écoutent et chaque récit donne lieu à un débat et des plaisanteries qui permettent de sortir du quotidien de faim, de froid, de peur et d’attente le temps d’une prise de parole. Le père de l’un a été renvoyé du lycée français pour un poème érotique, un tanneur a fui son quartier à cause d’une petite fille qui se transforme en vieille femme, un autre vivait près d’un ancien sbire d’Amin Dada qui mangeait de l’argent. Certains avaient faim, d’autres ont assisté à des massacres. Si les récits sont souvent proches des contes de griot et oscillent entre fantastique, humour, drame ou grivoiserie, ce « quelque chose de profondément douloureux que rien ne peut justifier », cet exil dont les causes multiples ne font pas varier la réalité d’un campement au pied des barbelés, ne peut être dit sans ellipses.

« Bonjour monsieur. On ne se connaît pas, mais je venu te voir car je dois t’expliquer ce qui se passe là-haut, pas tout près d’ici. Nous sommes environ cinq cents noirs, tous africains, et nous voulons vivre, tu comprends ? Nous voulons vivre. Et vivre, chez les Africains, est une affaire sérieuse, parce que c’est souvent très difficile, et beaucoup de gens y arrivent à peine. Nous nous trouvons dans un endroit qu’on appelle le Gourougou […]. Et nous passons nous journées à jouer au football, très souvent avec des ballons plus petits qu’une grosse orange. Nous avons besoin de manger, tu comprends, monsieur ? »

Peu à peu, le récit de la vie du campement l’emporte sur les histoires de veillée et l’on bascule des contes à une réalité difficilement soutenable. Il y a ceux qui doivent descendre mendier au village de quoi manger. Un mot écrit sur un papier, mais que personne ne connaît en berbère ni en espagnol et qui dit ce dont une femme qui saigne a besoin. Et cette rumeur liée aux femmes que l’on ne voit pas et qui empêche le tournoi de foot de se dérouler. Les trafics d’argent et de corps, les chantages de passeurs. Les descentes de la police des forêts marocaine. Vol, destruction, passages à tabac. La frontière en contrebas et au-delà d’elle, les milliers de lumières de la ville. Les tentatives répétées de franchir le grillage, entre les jets de pierre et les balles en caoutchouc d’un côté et de l’autre de l’obstacle. Les vagues d’assaut, la masse qui s’élance, tous ensemble pour le succès de quelques-uns. Les images de corps en haut des barbelés, qui restent gravées, que l’on a tous vues et dont on ne sait que faire du sentiment complexe de révolte qu’elles procurent. Entendre cette parole du mont Gourougou en écho aux discours sur les « hot spots » du désert. Penser qu’une fois les trois grillages de Melilla franchis, une fois subies les violences policères du côté africain des frontières, restent celles des polices européennes, et toujours d’autres camps. « Quand tout est aussi clair, qu’ils sont grands les efforts à faire pour entrer là où on ne veut pas de vous — et ils ont d’autres conséquences. »

Sur le mont Gourougou est accompagné d’une bande-son composée par l’auteur, en écoute sur le site des éditions Asphalte et YouTube.

Sur le mont Gourougou, Juan Tomás Ávila Laurel

Sur le mont Gourougou, Juan Tomás Ávila Laurel.

Traduit de l’espagnol (Guinée équatoriale) par Maïra Muchnik.

Asphalte éditions, septembre 2017.

Lou.

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