2017 a été une période riche en belles surprises et jolies parutions littéraires et graphiques, mais également l’année d’une triste disparition: celle du mangaka au talent reconnu à travers le globe entier, Jirô Taniguchi: cet auteur prolifique, célèbre grâce à son talent, sa sensibilité et son empathie aussi bien tournée vers l’écologie que l’humain et sa passion pour la bande-dessinée franco-belge qui a marqué son travail. La forêt Millénaire, paru à titre posthume chez les Editions Rue de Sèvres, est le dernier album de l’auteur en plus d’être un des projets qui lui tenait le plus à coeur et sur lequel il a consacré les ultimes mois de sa vie.
Rien que le format à l’italienne en lui-même est exclusif et unique dans le monde du manga: en effet, cette mise en page laissant place aux illustrations et aux images contemplatives qui tenait à coeur à l’auteur, a été un véritable défi pour son éditeur japonais. Habituellement, les mangas sont tout d’abord publiés sous forme de feuilletons dans des magazines spécialisés avant d’être assemblés eux-même en tomes, sentier que Jirô Taniguchi ne souhaitait pas emprunter pour ce conte écologique qui lui tenait tant à coeur. Et puis les étagères des librairies nippones ne sont pas prévues pour recevoir des livres au format à l’italienne, plus habituées à recevoir des ouvrages en format poches!
On y retrouve les thématiques chères à l’auteur telles que la nature et sa source de vie ainsi que le rapport qu’entretien l’homme avec cette Terre qui l’a fait naitre. L’oubli de ses racines et de l’importance de l’environnement végétal et animal et l’impact de l’Humanité sur tout cela sont des sujets redondants dans l’oeuvre de Jirô Taniguchi, qui fait toujours une place importante à des décors laissant la nature s’étendre. Ici, l’impact est d’autant plus fort que l’histoire se déroule dans la région montagneuse et forestière de Tottori qui a vu grandir l’auteur.
Le personnage principal, Wataru, est un jeune tokyoîte laissé au soin de ses grands-parents lors du divorce de ses parents et de la maladie nerveuse de sa maman. Il va peu à peu découvrir une nouvelle façon de vivre, loin du bruit, de la pollution et de la frénésie des grandes villes et se rendre compte qu’il possède un don propre à sa famille: celui d’entendre les voix de tout les êtres de la nature, de l’arbre le plus vénérable à l’insecte le plus minuscule.
L’enfance, terrain propice à la découverte et à une écoute encore approfondie et réelle de l’univers environnant et que l’on retrouve notamment dans La Montagne Magique du même auteur, laisse place à l’espoir d’une prise de conscience par les nouvelles générations et celle à venir.
La forêt millénaire est un album-hommage émouvant enrichi en planches et croquis exclusifs tirés tout droit des carnets de l’auteur, ainsi que les racines du projet par Corinne Quentin et avec la participation de Motoyuki Oda, l’éditeur japonais.
Extrêmement riche malgré l’aspect inachevé de l’histoire en elle-même, Jirô Taniguchi ayant été emporté par la maladie avant de pourvoir mettre son projet à terme, cette édition permet d’en apprendre plus sur la manière étonnamment inhabituelle de travailler de l’auteur, notamment au niveau des premières ébauches de ses storyboards, très épurés mais pourtant si parlant. Mais c’est surtout l’aspect révolutionnaire de cette passerelle entre le manga traditionnel et la bd franco-belge, représenté par ce linéament plein de promesses et de nouvelles opportunités offerte pour les futurs mangakas, qui est mis en lumière à travers cet entretien.
Evoquant le conte écologique Princesse Mononoké d’Hayaho Miyazaki, La forêt millénaire se lit avec une émotion certaine, autant de par sa beauté que de par le fait qu’elle restera suspendue et vibrante. A nous d’en écrire la fin en prenant conscience du monde qui nous entoure et en le préservant.
Editions Rue de Sèvres
70 pages
Caroline