« Quand Marceau partit avec la voiture et les clés de la maison, j’étais sous la douche ; l’eau inondait la cabine, m’éclaboussait les yeux ; je chantais à tue-tête Pour que tu m’aimes encore, ce qui suffisait à couvrir les chevaux du moteur ; je n’ai rien entendu. Pas la porte qui claque, ni le mécanisme de la serrure m’enfermant, ni les graviers sous les pieds de Marceau, ni, peut-être, ce qu’elle a pu hurler de définitif avant de m’abandonner seul, coincé dans une courte longère en rase campagne française, un jour avant notre retour à Paris. »
Le dernier jour de leurs vacances en Lozère, la femme du narrateur le quitte sans le prévenir alors qu’il prend sa douche et part avec leur Fiat 500 après l’avoir enfermé à clé dans la maison. La situation est cocasse et semble basée sur un malentendu : l’homme ne sait absolument pas pourquoi Marceau est partie, hésite entre considérer son absence comme une catastrophe ou une distraction, et reste en apparence parfaitement flegmatique. Ne pouvant joindre Marceau puisque le village n’a aucun réseau téléphonique et n’ayant pas de moyen de transport pour rentrer à Paris, le narrateur traîne dans le village, boit des canons avec un agriculteur à la retraite et un curé nonagénaire, lit un guide pratique sur la Lozère, s’éprend d’un troupeau de moutons abandonnés et ne s’explique auprès de personne de son absence au travail. Quand il se décide enfin à quitter le village, tout s’acharne à le retarder : manifestation d’agriculteurs, routes bloquées, trains en panne… et Marceau dont le répondeur annonce avec obstination qu’elle n’est pas disponible.
D’une rupture amoureuse insolite, le livre se transforme en un road trip involontaire, proche de l’errance, car si le narrateur cherche à rejoindre Marceau, il est surtout spectateur des péripéties qu’il traverse, toujours légèrement en décalage, nonchalant, très poli et faussement naïf, armé d’un certain détachement et de sa spécialité : « je fais très bien avec ou sans ». Presque passif, voire « apathique », il saisit ce qui se présente, chemine ballotté, conserve toujours une distance vis-à-vis des événements, ne prend que de menues décisions, décrit avec précision chaque petite action comme si tout était nouveau. Cette traversée d’une crise existentielle est de plus en plus drôle au fur et à mesure que les situations deviennent absurdes — l’on se souviendra de ce choix improbable d’une raquette de badminton où le héros se prend à inventer son type de jeu pour répondre au vendeur alors qu’il n’a jamais pratiqué le badminton. Romain Meynier manie avec aisance l’humour, l’ironie et le second degré et Revoir Marceau est parfaitement divertissant, tout en étant sachant rester touchant. L’on souhaite à ce jeune auteur que ce premier roman réussi soit le début de belles aventures littéraires !