Jouant avec les codes du conte, du merveilleux mais aussi de l’horreur, Carl-Keven Korb propose un premier livre prometteur. Issu de la nouvelle scène québécoise, ses écrits ont été remarqués, et primés, dans différentes revues avant que les merveilleuses éditions du Chemin de fer ne publient ce premier texte. Un texte vu en parallèle par Kevin Lucbert, illustrateur au bic, qui permet un autre regard, mystérieux, questionnant et enrichissant l’histoire.
Au cœur du Québec, dans une vallée entourée de forêts, se joue un drame. Sédalie Price, la fille d’un important entrepreneur est offerte à Amédée de Tranchemontagne, personnage aussi effrayant que son nom le laisse deviner. L’union se déroule durant un banquet fastueux, où tout le village perd pudeur et raison. Seul Samuel, amoureux de Sédalie, assiste conscient mais impuissant, à l’ignominie qui se joue.
« C’était une nuit de cristal. Sous le regard étourdissant d’Orion, le froid rampait sur les rues du village engelé en croassant dans la langue du Nord. Tapies dans les remblais, des araignées de glace tissaient des toiles de métal sur lesquelles des chats imprudents se collaient la langue avant de se faire dévorer. Le moindre souffle, la moindre rumeur se réverbéraient dans toute la vallée. La nuit était belle. Belle et profonde, pleine de dangers et de merveilles ».
Le lendemain, le village est honteux, mais Sédalie mariée. En cadeau, Tranchemontagne l’a vêtu d’un manteau de peau, qui ne la quittera plus. Rapidement, Sédalie vit en récluse dans la demeure de son mari. Tous l’oublient sauf son petit frère et Samuel. Ce dernier tentera de la sauver, mais devra faire face aux gardiens du lieu et au terrible Gargouille, une bête étrange et dangereuse. Il lui laissera un bras.
Quand des morts atroces surviennent dans la vallée, le village accuse Tranchemontagne et son Gargouille. La question de la bête et de sa réalité se soulève alors…
A la lecture, le temps s’étire, le lieu qu’on visite se dilate. Le décor canadien très classique change de couleurs au fil des pages, tirant irrémédiablement vers le bleu des dessins, glissant vers le surréel. L’écriture mêle poésie et dureté, créant une galerie de personnages mystérieux – notamment Êkho, mi ombre, mi amie. Carl-Keven Korn nous offre un conte noir interrogeant notre rapport à l’animalité, aux transformations et à la violence qui sommeille en chacun. A cela s’ajoute le dessin de Kevin Lucbert, qui ajoute un monde froid, énigmatique où l’humain est absent. Dans ses compositions au bic, tout est très propre, presque aseptisé, comme un défi à comprendre et dépasser l’ordre établi. Il semble nous amener à voir au delà du réel, nous entraînant dans un monde de faux-semblants et d’illusions. Un conte loin du conte de fée traditionnel, qui nous entraîne dans une longue nuit, faite de merveilles et de dangers.
Editions du Chemin de fer
96 pages
Aurore
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