Bienvenue à la Grocery, nouvelle épicerie du corner 16 de Baltimore tenue par Milton Friedman et son jeune fils Elliot! Ici vous trouverez du pain Azyme et de la bonne humeur à toute heure!
Voilà ce qu’imaginait Mr Friedman en ouvrant cette petite boutique dans le principal but de réaliser le rêve de sa défunte épouse et en encourageant son enfant à aller jouer avec les autres jeunes du quartier… Mais Singelin et Ducoudray en ont décidé autrement, en mettant le tout en scène en plein coeur d’une des villes les plus pauvres des Etats-Unis, touchée par un contexte économique et social dur et intraitable où ses habitants, livrés à eux-mêmes, tentent de donner un sens à leur existence.
Le frêle Elliot, élève doué et discipliné archi-fort en Speling-Contest va donc taper la discut’ avec les gosses de son âge. Leur première rencontre se fera dans un contexte bien annonciateur de la suite: une course-poursuite et un règlement de compte entre gangs a aboutit sur une voiture accidentée remplie de cadavres autour desquels les badauds s’agglutinent. C’est là que le premier check avec Sixteen et sa bande se produit, petits dealers du quartiers aux allures de voyous mais pour autant pas méchants. Le lien se fait très vite, Elliot apportant un regard candide et très naïf sur le monde qui l’entoure, plutôt apte à parler de beignets à la fraise, de Ghostbuster et de se concentrer sur ses cours que s’intéresser à la drogue.
Au même moment Ellis One sort du tristement célèbre pénitencier de St Quentin, miraculé de la chaise électrique qui même alimentée par le générateur de secours n’a pas réussi à le faire griller. Avec sa bande principalement composée de trois frères violents et sans morale, il est décidé à remettre la main sur son quartier et son business par tous les moyens, surtout les plus horribles et meurtriers possibles.
En parallèle aux conflits qui prend forme dans le quartier de la Grocery, on suit également l’histoire de Washington, ancien Marine rescapé d’Irak qui rentre enfin aux Etats-Unis pour finalement découvrir que sa maison est à vendre et sa grand-mère placée en maison de retraite par des escrots sans scrupules aux costumes d’assureurs. A la rue, sans repère et tourmenté par ses souvenirs de guerre et la culpabilité de voir sa mamie sénile, il trouve finalement refuge au coeur d’un groupe d’expulsés activistes et pacifiques réuni sous le nom de Reclaim Our Home. Recouvrir leurs droits et leurs toits sont leur leitmotiv, à laquelle Washington va vite se rallier.
Enfin, alors que Vickie se fait tatouer le chiffre emblématique de la Mara 16, mafia hispanique de Baltimore, elle est prise dans une fusillade menée par Ellis One au cours de laquelle son fiancé est massacré sous ses yeux. Malgré son jeune âge, elle va se lancer dans une Venganza contre le meurtrier de son amour à corps perdu.
A travers des destinées parallèles, Singelin et Ducouray brossent la vie telle qu’elle est au coeur de la misère des quartiers pauvres américains, où rebus de la société et malchanceux survivent malgré tout. Dans une ville laissée pour compte, des micro-cultures évoluent et entre en conflit pour défendre un territoire commun, écrasé par le cartel de la drogue et la loi du plus fort.
Au fil des pages, les personnages se rencontrent et luttent ensemble pour un but commun bien qu’utopiste: celui de rétablir la paix et la justice. Chacun y va à sa manière, Elliot avec sa candeur va se lier d’amitié avec des extrémistes tatoués de croix gammées alors que lui-même est juif, Washington en apportant un peu plus de conforts dans les locaux de R.O.H, Vickie en patientant derrière les barreaux, porteuse d’une haine farouche et aveugle… Singelin et Ducoudray, respectivement au dessin et au scénario, se lancent corps et âme dans un conte cruel des temps modernes à travers cette série menée de main(s) de maître(s). Aussi sanglant et dur par le contexte et les scènes que mignon et touchant par le design des protagonistes, The Grocery est une grosse claque en pleine gueule. Tous les pires vices de l’Homme y sont abordés, le racisme, la haine et la bestialité, mais aussi ses plus belles qualités telles que l’amitié, l’entraide et l’espoir et le décalage entre les traits des personnages et l’ultra-violence des scènes donne encore plus d’impact au tout. Les amitiés improbables qui se créent, les liens que le hasard forme, tout cela révèle des caractères que l’on ne prêteraient pas à certain personnage dans un premier temps; comme par exemple le grand Ned, l’un des sbires proches d’Ellis One qui se caractérise aussi par son incroyable candeur et le monde à part et imaginaire dans lequel il évolue, bercé par des illusions soufflés par un Bouffe-Tout post-électrochocs.
L’univers de The Grocery dévoile des diamants planqués sous la boue, des joies et des peines telles qu’il en existe vraiment au coeur des quartiers pauvres des Etats-Unis d’Amérique. Singelin et Ducoudray peuvent être fiers de cette série qui a aucun moment ne s’essouffle et gagne même en puissance de tome en tome.
Editions Ankama
Label 619
420 pages
Caroline