Il y a quelques années, une exposition à la Cité de l’architecture explorait les rapports entre l’architecture et la bande dessinée. Approche très pertinente car les passerelles entre les deux arts sont bien plus nombreuses qu’on pourrait le croire.
Une bande dessinée réussie tient en plusieurs points : l’intrigue – évidemment (pour ma part, j’aime les intrigues labyrinthiques, où l’auteur joue sur le temps, en une narration non linéaire), le dessin – tout aussi évidemment (bien que je déplore une certaine forme de standardisation dans le dessin des BD franco-belges, tant qu’elles paraissent toutes jumelles) et le jeu avec le medium, à savoir l’utilisation des cases et de la page. Ce dernier point est peut-être le plus essentiel, car enfin, quel intérêt de raconter une histoire sans utiliser toutes les potentialités de son support ?
C’est là qu’intervient l’architecture, l’art de construire un espace à partir de rien, puis de l’agencer de telle manière à créer une dynamique, un volume et une circulation.
Ainsi d’une planche de bande dessinée. Comment la découper, comment l’occuper, comment créer une dynamique visuelle suffisamment intéressante pour interpeller, et comment, avec tous ces éléments, servir l’histoire que l’on essaye de raconter ?
Lucas Harari, avec L’aimant, a parfaitement répondu à ces questions. Et il a renforcé le lien avec l’architecture en racontant l’histoire d’un jeune homme fasciné par un bâtiment envoûtant : les thermes de Vals, en Suisse, signé Peter Zumthor.
La recherche visuelle de Harari épouse les formes du bâtiment. Il est même magnifié par un travail remarquable sur les couleurs (rouge vif, bleu omniprésent) et le clair obscur. Ce sont là des dessins d’architecte, dans le sens où est recherchée la précision du détail. Ce qui a son importance, dans le scénario de la BD, puisque c’est dans les interstices et les parois cachées du bâtiment que grossit le mystère de l’intrigue.
(ci-contre, un exemple de l’éblouissant travail sur la dynamique de la planche, l’utilisation de la couleur, et la précision des détails de l’architecture des thermes)
Pierre, un jeune étudiant en architecture, travaille une thèse sur le fameux bâtiment de Zumthor. Pour une raison à peine évoquée, il laisse tomber ses recherches quelques temps, avant de se résoudre à visiter le bâtiment. L’endroit l’intrigue, pour ne pas dire qu’il l’attire (l’aimant) et, bien malgré lui, il va devoir en percer le mystère, sur fond de légende locale dont pas grand monde accorde du crédit, à savoir l’existence d’une sorte de faille engloutissant, tous les cents ans, une pauvre âme venue s’aventurer dans les environs. Evidemment, cette faille, ce trou noir, se situerait dans les entrailles des thermes.
La plus grande réussite de cette BD tient dans sa beauté. Esthétique, oui, car elle est magnifique. Surtout, Lucas Harari parvient à entretenir un mystère autour de son intrigue et du bâtiment qu’il dessine. On est attiré, incontestablement, par le bonheur visuel de l’histoire, mais on est tout autant attiré par ses zones d’ombre, nombreuses et réjouissantes.
Alors, L’aimant, carrefour entre BD et architecture, objet fascinant rapprochant le lecteur d’un monde visuel superbe. En d’autres termes, l’histoire d’une attraction.
L’aimant
Lucas Harari
Sarbacane
2017