Le prolifique Joann Sfar se lance aux trousses d’Aspirine, vampire de 17ans coincée pour toujours dans une crise d’adolescence désabusée et sanglante. Ce Nosferatu au féminin, au teint crayeux et aux cheveux de flammes abordant croix de Vie égyptienne et piercing a déjà fait son apparition dans les tomes du Bestiaire Amoureux (aux côtés de Fernant le Vampire ou encore Richard Marouani le loup-garous) et occupe cette fois le devant de la scène.
Aspirine vit avec sa grande-soeur, la pulpeuse et séductrice Josacine, croqueuse invétérée d’hommes au propre comme au figuré. Ensemble, elles se font des infusions de coeurs d’amants, survivent aux années, aux siècles, à la marche du monde et se disputent très souvent. Il faut dire que la cadette ne possède pas les mêmes attributs vertigineux de son ainée et passent plutôt ses nuits à survoler de manière désabusée les toits de Paris pendant que sa soeur s’envoie en l’air. Et ça lui fout la rage. Enfin… cette rage elle l’a déjà, bouillonnant sans interruption, prête à exploser au moindre moment comme il se doit lorsque l’on a 17 ans. Et d’autant plus que ça fait bientôt 300 ans qu’elle se la traine, cette colère inassouvie. Alors pour s’occuper, elle assiste aux cours de Philo de la Sorbonne et s’énerve sur son prof, frustrée par l’absurdité du monde, son intelligence vive pressée par l’étau de sa condition.
Au fond de la salle, Ydgor la dévore des yeux. Ce nerd passionné par les jeux de rôles à la Warhammer, écrivain auto-proclamé d’histoires fantastiques et grand fan de l’univers de Cthulhu est super amoureux de l’indomptable et inapprochable Aspirine. Il tente bien de lui parler et de se faire remarquer, mais elle n’a que faire d’un avorton pareil. Pourtant, un soir voilà qu’il tombe nez-à-nez avec sa belle qui dirige une armée de vampires sanguinaires et barbares en plein tournoi de Warhammer; c’est l’occasion où jamais pour lui de se faire accepter en tant que serviteur. Cahin caha, ces deux ados font leur chemin, perdus dans leur époque et errant sans but précis. Ydgor a bien cerné ce qui fait péter un câble à sa maitresse: son esprit revanchard tuant à tour de bras est surement dû à son absence de raison de vivre, cette lumière qui s’est éteinte aux fils des siècles, faisant d’elle un spectre aigri de solitude. Il doit donc trouver un remède à cela, un médicament pour calmer la fièvre d’Aspirine.
Joann Sfar dresse un portait caustique de la jeunesse moderne, en quête de rêve et de magie, se cachant tant bien que mal derrière un humour maladroit, s’intéressant à des thématiques non-reconnues ni glorifiées. Son dessin littéralement bouillonant donne vie à son personnage charismatique et déjantée, et ce trait jeté semble parfois dépasser la pensée, lui donner vie avant même que l’esprit n’ait eu le temps de l’intégrer. Les références cinématographiques, musicales et philosophiques dont il aime parsemer ses ouvrages apportent, comme à leur habitude, encore plus de profondeur au tout.
Je ne sais pas encore si cette Aspirine là possède la vertu de stopper les maux de crânes, mais une chose est sûre, elle met un joyeux et rougeoyant bazar dans les idées trop bien rangées.
Editions Rue de Sèvres
140 pages
Caroline