On ne présente plus Zerocalcare (Oublie mon nom) qui continue de publier ses bandes-dessinées aussi géniales que déroutantes, mêlant auto-fictions et autobiographie aux éditions Cambourakis. Au-delà des décombres est le premier tome d’un diptyque où il revient sur ses liens avec sa bande de potes et le poids qu’exerce sa popularité en tant qu’auteur de BD sur lui est son entourage.
Assis dans un train, il compte le nombre de secondes s’écoulant entre chaque appel et message le sollicitant d’employer son talent de dessinateur pour la bonne cause. Le record du jour: cent quarante trois secondes de tranquillité entre deux requête, autant dire rien du tout. Où est passé cet anonymat précieux qui rythmait ses journées, lorsqu’il n’était pas encore un auteur de bande-dessinée reconnu et demandé? Ce temps où il était avec sa bande d’amis, à mener des activités militantes et engagées et non pas en train de devoir faire bonne figure lors d’un débat où il se sent piégé et oppressé?
D’ailleurs, en parlant d’amis; voilà que Zerocalcare apprend que son pote Sanglier se marie dans quelques jours seulement! Sanglier qui ne pensait qu’à baiser tout ce qui bouge, avec qui il a fait les 400 coups en compagnie de l’Arnaque, Katja, Sarah et Secco et qu’il n’a pas vu depuis… presque un an au final.
Déjà un an passé à courir dans tous les sens pour répondre présent, arranger tout le monde et ne décevoir personne, à tout donner à des inconnus tout en oubliant ses proches.
Zerocalcare trouve ses amis dans quasiment les mêmes miasmes sociologiques qu’il les a laissé, excepté Sanglier qui est en proie à d’autres peurs nouvelles dues à son statut de mari et futur papa. Inaptitude sociale, désaccord avec le système, lassitude au travail, autant de maux qui touchent beaucoup de gens de la génération de l’auteur et de son groupe et qui s’amplifient encore plus à l’approche de la trentaine. Le choc est d’autant plus fort que Zerocalcare semble être le seul à s’épanouir dans son travail, en vivre correctement alors que la crise touche l’Italie et ses amis. Sa situation est considérée comme un privilège dont lui-même à pleinement conscience tout en étant livré à des angoisses et subissant un décalage entre ses principes et une popularité croissante inconfortable pour un habitué de l’anonymat.
Dans Au-delà des décombres, Zerocalcare illustre des questionnements universels regroupant les générations passées, présentes et futures autour d’axes comme les relations sociales ou les croyances personnelles face à la bienséance et aux attentes préétablies. Écartelé entre la culpabilité, la peur de trahir et de décevoir omniprésentes en lui et le besoin de s’écouter, il se met en scène sans filtre dans une auto-critique qui fera sûrement écho aux névroses de toute une génération.
Ponctuée de scènes plus fantasmagoriques où le titre d’Au-delà des décombres prend tout son sens, l’auteur fourni un bestiaire inventé où des sentiments comme celui de l’injustice, de l’irreversible ou la sensation d’encerclement sont autant de créatures se nourrissant des failles humaines et alimentant une entité aussi sombre que mystérieuse.
Dans ce premier opus Zerocalcare vise encore juste, mettant en scène ses propos et ses craintes avec un dessin cartoonesque et des références à la pop-culture qui n’allègent pas pour autant ce roman graphique, mais le rendent encore plus vrai et impactant. Il ne cache pas ses angoisses et permet même de mettre des mots et des images sur ce que beaucoup de personnes de son âge ressentent, tout en osant traiter du poids de la popularité qui l’envahit et le fait culpabiliser aux yeux mêmes de ses lecteurs et fans, avec une honnêteté tout à son honneur.
Editions Cambourakis
Traduit de l’italien par Brune Seban
192 pages
Caroline