Liv Strömquist a plus d’une corde à son arc d’amazone contemporaine: suite à des études politiques universitaires elle devient journaliste à la télévision, animatrice radio au ton satirique et auteure de bande-dessinée engagée. Très populaire en Suède là où elle est née et où elle vit, elle est reconnue pour son travail féministe et ses interrogations autour des thématiques sociales contemporaines.
Elle signe des romans graphiques publiés en France sous le signe noir des Editions Rakham dont L’origine du monde et I’m every woman, où elle parle respectivement des « hommes qui se sont un peu trop intéressés à ce qu’on appelle les « organes féminins » ainsi que de la vulve inconnues et du mystérieux clitoris et enfin des « pires petits amis de l’Histoire », de la famille nucléaire, des enfants ultra-conservateurs et des Barbapapas genrés.
Dans L’origine du monde, elle explique le long et difficile parcours des femmes dès l’aube de l’humanité où elles étaient représentées comme des entités nourricières et bienfaitrices (comme en témoignent de nombreuses sculptures et poteries retrouvées sur des sites archéologiques à travers le monde), avant de tomber dans l’hypersexualisation bêtifiante moderne, en passant par les chasses aux sorcières et les théories foireuses portées par ces messieurs concernant l’hystérie, la souillure ultime que sont les règles et autres joyeusetés.
Il faut dire que la vulve marque par son aspect à la fois tabou et obsessionnel; les hommes s’y penche avec crainte et pourtant affirment tout savoir d’elle alors qu’ils préfèrent la censurer ou la représenter à moitié dans les livres scolaires ou les peintures. Quand aux règles ou à l’orgasme, n’en parlons pas: les premières sont perçues comme honteuses et doivent être contrées ou cachées par des subterfuges débiles et le second est juste vu comme miraculeux tellement il parait que la jouissance féminine est compliquée et pas si importante.
Au fil d’ I’m every woman, Liv Strömquist dresse un top des pires boyfriends; Elvis Presley, Jackson Pollock, Staline… autant d’hommes célèbres qui ont fait vivre de véritables calvaires à leurs femmes, compagnes, concubines et petites amies qui seront victimes de jalousie maladive, alcoolisme, séquestrations et surtout machisme pur et dur.
L’auteure se penche ici non pas sur des figures féminines célèbres mais plutôt sur des femmes qui ont survécu dans l’ombre de leurs compagnons et qui n’ont pas pu s’exprimer à leur guise, victimes de leurs situation sociale et du patriarcat imposé et parfois même consenti. Il faut dire que le destin de femme gâché par celui de leur « grand homme » de partenaire est tristement célèbre et répété à travers les époques et les cultures, l’infériorité féminine étant considérée comme logique et inée…
Armée d’un trait vivant, drôle et décomplexé évoquant celui de Marjane Satrapi (Persepolis, Poulet aux prunes), Liv Strömquist réalise des livres qui font du bien. Très bien documentées, agrémentées de faits divers réels, de photos et de représentations de tableaux, de dates historiques et d’anecdotes, ses bandes-dessinées sont de véritables documentaires autour du système social humain. Ce système basé sur l’hétéronomie, les attentes communautaires induites sur les hommes et les femmes, le schéma des familles nucléaires (structure familiale la plus étendue et commune en Occident; deux adultes mariés ou non avec ou sans enfant, représentant la nécessité d’avoir un compagnon et souvent une descendance) et un patriarcat largement majoritaire.
Nourrie de nombreuses références, blindée d’un humour décapant et incisif, Liv Strömquist énonce les faits et dénonce leur absurdité tolérée et même banalisée. Féministe? Oui. Engagée? Incontestablement! Mais Liv Strömquist est aussi pédagogue et réfléchie et son travail mérite d’être lu par toute personne soucieuse de l’égalité des sexes et des genres, et même de l’égalité tout court.
Traduit du suédois par Kirsi Kinnunen
Editions Rackham
Caroline