Coucher par écrit, est-ce que c’est tromper ? Cette question, posée en quatrième de couverture, n’est pas sans rappeller la question polémique « Est-ce que sucer, c’est tromper ? » que Thierry Ardisson, du temps de son apogée médiatique avec l’animation de l’émission Tout le monde en parle, avait notamment posée à Michel Rocard. Le genre d’interrogation digne d’un sujet de société qui aurait pu être traité sous la forme d’un essai mais que Philippe Annocque choisit d’aborder par le roman.
D’emblée, Philippe Annocque crée une passerelle entre réalité et fiction le temps d’une préface où il introduit le roman du narrateur, Herbert Kahn, s’arrogeant le droit d’en modifier le titre. De cette porosité naît le doute – légitime pour ceux qui suivent l’auteur dans ses pérégrinations « Facebookiennes » – quant à la part autobiographique de cette romance 2.0. Mais au fond cela ne revêt pas une grande importance, même si l’auteur en joue avec malice. Bien qu’il existe encore des réfractaires aux réseaux sociaux (si, si, j’en connais!), nombreux sont ceux qui les utilisent et peuvent donc se reconnaître à minima dans les mésaventures d’Herbert Kahn. Mésaventures car ce professeur des écoles et écrivain à ses heures se perd peu à peu dans cet entre-deux entre réalité et fiction, ne sachant plus trop sur quel pied danser avec cette drôle de relation dans laquelle il s’est embarquée en compagnie d’une professeure d’espagnol dans un lycée. Prénommée Coline, elle ne s’extirpe de l’anonymat de la liste des « amis » Facebook d’Herbert qu’à la faveur d’échanges privés autour de son travail de romancier. Cependant, il lui faut dévoiler quelques bribes de son intimité pour qu’elle commence réellement à prendre chair à ses yeux. Un soutien-gorge tout d’abord, puis sa petite culotte assortie comme autant d’hameçons auxquels Herbert va mordre avec de plus en plus de gourmandise. Une entame de romance pour le moins coquine que Philippe Annocque désamorce en restant le plus factuel possible à la suite de son auteur/narrateur. Le roman n’a aucune velléité érotique se bornant à dépeindre les tourments intérieurs d’un homme d’âge mûr et rangé, complètement déboussolé devant le fait de plaire à une autre femme que la sienne. Ces mots que Herbert couche sur le papier ont une portée cathartique. Ils lui permettent à la fois de se donner bonne conscience – ce n’est pas lui qui a fait le premier pas – et à théoriser sur sa condition d’homme en proie au démon de midi.
Un cliché éculé devrait être un cliché sans cul, étymologiquement parlant.
Car au fond, c’est de cela dont il est question ici. Coline et Herbert se prétendent heureux en ménage mais ne peuvent plus décrocher de leur relation virtuelle, allant toujours plus loin dans les petits jeux érotiques, aux photos succédant bien vite des vidéos au contenu suggestif. Là seulement réside leur concession au vingt-et-unième siècle car par ailleurs, il y a dans leur démarche un petit quelque chose de l’ordre du désuet. Leurs échanges relèvent en un sens de la correspondance épistolaire à ceci près que les réseaux sociaux induisent une immédiateté qui ne souffre aucune patience. Que Coline ne réponde pas dans la seconde à un message d’Herbert et celui-ci commence à s’interroger. A t-il manqué d’à-propos, de tact, se montre t-il trop pressant ? Mille interrogations qui ne font qu’alourdir une idylle qui connaît finalement les mêmes soubresauts qu’une histoire classique. Il y a quelque chose de fascinant à voir cet homme se débattre ainsi avec ses sentiments et ceux qu’il prête à sa correspondante. D’abord sur la défensive face à l’attitude cavalière de Coline, Herbert en oublie progressivement toute retenue pour finalement se mettre à nu, s’abandonnant à une logorrhée qui confine au pathétique. Il cherche à compenser par les mots l’absence de contact et joue avec eux afin de susciter désir et curiosité chez sa partenaire à coup de statuts sibyllins postés négligemment sur sa page Facebook. Et quand l’amour devient calcul, peut-on vraiment parler d’amour ?
Plutôt que d’amour, on parlera d’une passion amoureuse qui relève d’un besoin. Le besoin de se sortir de la routine, de renouer avec des sentiments et des sensations anciennes. Cette histoire offre la possibilité à Herbert et Coline de s’encanailler à peu de frais, de jouer avec les interdits et les convenances en prenant bien soin de ne pas franchir le Rubicon. Leur coup de foudre virtuel ne suffit pas à leur faire oublier ce qu’ils ont bâti, à se libérer d’un certain conservatisme. Néanmoins, ils ont pris goût à leur petit jeu sentimentalo-érotique au point de ne plus pouvoir s’en passer. Et c’est finalement en jouant la distanciation qu’Herbert réussit à reprendre la main dans cette relation, laquelle devient soudain plus ludique et légère. Un ludisme et une légèreté que Philippe Annocque fait sien nous embarquant avec talent dans un récit à l’apparente futilité mais aux questionnements multiples.
Quidam éditeur
144 pages
Bénédict