On est quand même pas bien joyeux ces derniers temps sur Un Dernier Livre ! Depuis les “nécromates” de The Empire of Corpses (voir ma chronique sur cette œuvre en cliquant ici), ça manque de légèreté dans nos articles ! Qu’à cela ne tienne, voici venir une petite perle de fraîcheur et de douceur : Ken’en – Comme chien et singe de Fuetsudo. Vous connaissiez l’expression “comme chien et chat” ? Imaginez la même chose mais en plus… exotique ! C’est dans le Japon médiéval que ce manga propose de décrire les créatures extraordinaires et folkloriques des contes nippons. Le récit suit un jeune démon mi-homme mi-singe (un kakuen), Mashira, et Hayate, le chien-exorciste chargé de le capturer. Seulement, surprise : Hayate a décidé que Mashira serait son nouveau maître. Une aventure pour le meilleur et pour le pire !
Un conte frais et haut en couleur
Fleurs de cerisiers et tenues traditionnelles seront au rendez-vous de cette série de mangas ! Le Pays du Soleil Levant nous accueille dans l’une de ses régions reculées, il y a de cela quelques siècles. Dans cette province d’Enshu, au village de Mitsuke, on croit encore aux divinités anciennes, aux démons et aux créatures fantastiques. Et à raison ! La forêt est remplie de tous ces êtres qui ne demandent qu’à se manifester. Parmi eux, une petite famille de démons mi-hommes mi-singes, les kakuens, vivent au beau milieu des bois, dans le creux de leurs arbres-maisons.
Le problème c’est que les kakuens, on aime pas trop ça au village de Mitsuke. Les habitants ont même tellement peur d’eux et de leurs mauvais tours qu’ils vont faire appel à un bonze (un moine japonais) et à son chien magique Hayate pour piéger les démons. C’est sans compter que Mashira, l’un des kakuen, va se lier d’amitié avec Hayate. Commence alors la plus étrange des cohabitations entre un chien-exorciste et le démon qu’il était censé capturer. Bienvenue dans Ken’en – Comme chien et singe !
A la découverte du plus beau des Japon
Les dessins d’Ichimura Hitoshi sont ceux d’un excellement mangaka. L’image est belle, le découpage est bien pensé. Que dire de plus lorsque quelque chose est réussi ? Le travail de mise en contexte est superbe : les décors et les paysages placent les lieux dans un Japon entre légende et réalité, plein de mystère et de folklore. Le village de Mitsuke est un charmant petit village japonais typique de l’époque. Les Occidentaux que nous sommes découvriront alors avec plaisir tous les us et coutumes nippons. En effet, les constructions traditionnelles, la cuisine locale et la mythologie de la région seront fréquemment évoqués et décrits.
En parlant de mythologie, il faudra être bien accroché dès le premier tome ! Le Japon de l’époque foisonne de divinités mineures, oubliées dans des sanctuaires abandonnés, de créatures merveilleuses et de bestioles incroyables. Préparez-vous à retenir leur nom et leur histoire, riche en références idéologiques.
Un conte pour enfants…
Evidemment, les jolis contes comme celui-ci sont souvent réservés aux enfants. Beaucoup des ressorts comiques de la narration jouent sur des leviers que les plus jeunes comprendront aisément (mouillez un chien et vous vous en mordrez les doigts ; laissez traîner votre poisson dans la même pièce que lui et vous le verrez disparaître en un éclair ; etc.). L’histoire d’amitié qui naît entre les deux protagonistes a évidemment une morale forte : aimez les autres malgré les différences. De là vient le sous-titre : Comme chien et singe. En soulignant la différence entre les deux personnages et leur potentielle inimitié (référence à l’expression « Comme chien et chat », encore…), puis en présentant leur histoire, le manga montre que rien n’est impossible avec l’amitié.
Forcément, quand je dis « rien n’est impossible avec l’amitié », vous levez les yeux au ciel et vous vous dîtes : « Il est loin le chroniqueur qui nous parlait de suicidaires dépressifs » (pour ceux à qui cela manque, je vous invite à lire la chronique que j’ai faite sur La Déchéance d’un homme d’Osamu Dazaï en cliquant ici). Pourtant, ce manga de Fuetsudo n’est pas niais. Loin de là. Pourquoi ? Parce qu’il évoque des sujets lourds sous couvert de jolis sourires et de singeries.
… mais aussi pour les plus grands !
En effet, Mashira, le singe-démon, est orphelin et doit vivre avec l’absence de ses parents au jour le jour. En plus de cela, il appartient à une race de démons, les kakuens, qui n’ont pas de femelles de leur espèce et doivent kidnapper des femmes humaines pour se reproduire. Si cela peut amener des situations amusantes d’enlèvements ratés, on touche là quand même à une problématique plutôt complexe. Sans surprise, le héros se posera de nombreuses questions sur ses convictions et sur le bien-fondé de ses actes lorsqu’il tentera de forcer des jeunes femmes à le suivre.
A la lecture de ces dernières lignes, vous vous dîtes que jamais vous ne laisserez un tome de Ken’en tomber dans les mains de votre enfant ? Vous auriez tort ! L’élément qui réunira petits et grands dans ce manga charmant, c’est la douceur de la relation entre les personnages. Qu’ils se fâchent, qu’ils se disputent, ou qu’ils se serrent dans les bras, toutes leurs actions sont fondées sur un amour mutuel fort, si fort que l’on n’ose pas l’exprimer par les mots. Mashira est aimé par sa famille adoptive de kakuens, il est aimé par son chien Hayate (qui ne l’avouera jamais, bien évidemment…), il est aimé par de nombreux autres protagonistes qu’il rencontrera au fil de l’histoire : il ne manque pas de soutien autour de lui.
Ainsi, il y a deux niveaux de lecture à cette œuvre : une belle leçon de vie et une charmante histoire à lire avant d’aller se coucher.
Une aventure au cours des saisons
Toute cette intrigue a lieu dans un Japon en perpétuel changement, où ce joyeux petit monde vit paisiblement au gré des saisons. Les couvertures de chacun des mangas annoncent la couleur : nous allons vivre une aventure qui s’étale dans le temps. Le premier tome se déroule dans un printemps doux ; le second dans un été ensoleillé ; le troisième en plein automne, alors que les arbres se parent de feuilles de toutes les couleurs ; et le quatrième a lieu sous la neige, au cœur de l’hiver.
Il s’agit de quelque chose d’anodin, mais ce procédé permet aux personnages de se montrer dans leur vie de tous les jours. Ainsi, on les voit aller à la pêche, à la chasse. Petit à petit, ils deviennent attachants à force de nous entrainer dans leurs aventures en forêt, et surtout le moindre détail qui change dans leur quotidien est aussitôt remarqué par le lecteur. Rajouter le passage du temps comme composante de l’histoire, et avec lui le changement de saison, est un élément tout simple mais qui permet de renouveler facilement les scénarios possibles. Quitte à avoir l’hiver à sa porte, autant se lancer dans une bataille de boules de neige ! Et lorsque l’été arrive, pourquoi ne pas aller pêcher un peu ?
Les Editions Doki-Doki (que vous retrouverez en suivant ce lien), encore une fois, ne m’ont pas déçu. C’est une jolie œuvre qui nous est présentée là. En effet, elle est belle, raconte une histoire passionnante et pleine de fraîcheur, qui s’écarte des sentiers battus pour montrer un conte japonais des plus exotiques. Les personnages de Ken’en sont uniques en leur genre : voilà qui mérite bien d’acheter le manga ! Le tome cinq vient justement de paraître et le sixième arrivera le 5 juin prochain. Bonne lecture !