Xiao Hong est une écrivaine chinoise dont la courte vie fut parsemée de calvaires: entre exils géographique et social, brutalité cruelle de ses conjoints et perte d’un enfant en bas âge, le tout dans un pays alors plongé en pleine guerre. Elle meurt à 31 ans seulement mais laisse derrière elle de nombreux écrits la plaçant dans le courant de la littérature féminine chinoise, qui débute en 1917. A travers le pouvoir et le média de l’écriture, des femmes chinoises commencent en effet à parler de leurs droits et de leur condition dans une société patriarcale où elles sont reléguées sans cesse au second plan et déconsidérées.
Souvenirs de Hulan He est composé d’extraits tirés du récit original, lui-même scindé en sept chapitres. Xiao Hong l’écrit quelques temps avant sa mort, alors qu’elle a déjà subit bien des épreuves. A travers ce texte, elle revient sur son enfance heureuse et solitaire dans le petit village de Hulan en Mandchourie. Elle y emploie une syntaxe brève et enfantine, qui lui permet de se remémorer son passé de petite fille, comme un ultime échappatoire au reste de sa vie douloureuse.
Isolée des autres enfants, elle passe le plus clair de son temps en compagnie de son grand-père, qui semble être l’une des rares personnes censée et bienveillante de son quotidien. Ensemble, ils jardinent, récitent des poèmes et observent le microcosme qu’est Hulan.
Xiao Hong décrit en détail la faune et la flore de ce bout de terrain où les concombres et les aubergines côtoient les papillons et les libellules, ou encore le rythme des saisons qui ne semble à aucun moment clément avec les habitants. Souvenirs de Hulan He est un livre empreint de nostalgie, où l’évocation des couleurs, des bruits, des odeurs et de l’interprétation qu’elle en avait à l’époque est prédominante. Elle se remémore les traditions folkloriques telles que les danses et tambourinages de la sorcière où les fêtes et les célébrations, le tout avec un regard d’enfant qui en dénonce subtilement l’incongruité et l’absurdité. On peut même parler d’ironie car si le langage est simple, le ton est quand à lui sans équivoque et dénonce avec réthorie et malice.
Au travers du quotidien conté de ses voisins rustres, égoïstes et même parfois cruels de par leur ignorance, seulement trois sont développés: il s’agit des histoires de la petite bru, de second oncle You et du meunier Feng bouche-tordue. L’autrice aborde alors la place de la femme, la mélancolie et l’endurance candide avec ces trois tableaux de vies, venant approfondir la toile de ses souvenirs composée de détails piochés ça et là.
Xiao Hong mélange l’autobiographie et la romance, dans une fiction lyrique où le réel et l’imaginaire se confondent. Ce très beau livre enrichi d’une préface signée Shao Baoqing apportant du sens sur l’œuvre de l’écrivaine et son parcours, donne envie de découvrir le reste de ses oeuvres (Terre de vie et de mort, Des âmes simples…). On y ressent déjà la force, l’insolence et la témérité qui lui permettra de continuer à avancer malgré une vie aussi courte qu’éprouvante, ainsi que son refus de se plier aux diktats patriarcales.
Les magnifiques illustrations de Hou Guoliang, réalisées selon la tradition picturale chinoise, dépeignent des personnages aux allures naïves dans des décors aux teintes délicates et passées, mettant parfaitement en valeur le récit doux-amer, marqué par la mélancolie, de Souvenirs de Hulan He.
Éditions de la Cerise
104 pages
Caroline