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Rivière tremblante – Andrée A. Michaud

Il y a deux ans, je me laissais séduire par la quatrième de couverture d’un roman noir revendiquant une filiation entre le livre en question et le Twin Peaks de David Lynch. Évidemment, il m’était impossible de résister et je me précipitais sur ce roman sans en connaître ni l’auteur, ni l’intrigue, sinon qu’il y était question de forêts, de fille qui disparaît et de mystères profonds et silencieux.

Ce livre, c’était Bondrée, de l’auteure québécoise Andrée A. Michaud.

Le roman était stupéfiant et réussi à bien des égards. Surtout, il s’agissait d’un roman noir lumineux, où l’enquête importait moins que la qualité d’écriture et les descriptions d’atmosphères lourdes et angoissantes.

Je gardais précieusement dans un coin de ma tête le nom de cette auteure en me jurant d’y rester fidèle (à l’époque, un seul de ses romans avait traversé l’Atlantique pour nous parvenir).

Andrée Michaud a donc récidivé à l’automne, les éditions Rivages lui ont à nouveau offert une illustration de couverture délicate, raffinée, où de terribles secrets sourdent sous les arbres d’une forêt en apparence paisible.

Ainsi, Rivière tremblante. Un roman sur l’impossibilité de certains deuils, sur des plaies qui ne se referment jamais et sur des pages trop lourdes pour être tournées.

Tout commence en 1979 lorsque Marnie voit son ami Michael disparaître sous ses yeux sans trop comprendre la scène à laquelle elle assiste. Les deux enfants partaient s’amuser au bord de la rivière aux Trembles avant qu’un orage éclate, ou qu’un ogre surgisse derrière un arbre et enlève Michael, ou qu’une tempête n’emporte le jeune garçon, ou une bête sauvage, ou n’importe quoi d’autre. Marnie vit, depuis trente ans, avec ces images en tête qu’elle ne parvient pas à comprendre, essayant de se remémorer chaque seconde, les dernière paroles de son ami, afin de trouver un indice qui lui permettrait d’éclairer la scène. L’obsession de ces derniers instants est telle qu’elle pourrait en perdre la raison, se demandant si le choc n’altérerait pas ses souvenirs, se demandant quelle est sa part de responsabilité. Pour les gens du village, sa responsabilité est grande, voire totale, et, traitée de sorcière, elle doit quitter les lieux, avec son père, avant que tout cela ne se termine en exécution en place publique. Trente ans plus tard, elle revient au bord de la rivière, toujours hantée par ce drame.

Parallèlement, nous voici aux côtés de Bill Richard qui a, lui aussi, vécu une disparition qui l’a marquée jusqu’au fond de ses entrailles, puisque c’est sa fille de huit ans qui a disparu par un après-midi anonyme de janvier. Volatilisée, il ne reste que des souvenirs à un père meurtri, terrassé, incapable de vivre. Dérivant, la vie en l’air, il atterrit presque par hasard à Rivière-aux-Trembles, où un petit garçon vient de disparaître à son tour.

L’enquête de police semble se concentrer sur deux suspects : Marnie et Bill Richard.

Mais ce qui compte, c’est la force et la beauté qui hantent les pages de ce roman. Des histoires d’hommes et de femmes à terre qui n’ont plus ni l’envie ni l’énergie de se relever, mais qui doivent avancer malgré tout. L’histoire de Bill Richard est poignante, Andrée Michaud l’écrit avec une justesse à faire couler les larmes et retourner l’estomac.

La justesse vient aussi du fait qu’il n’y a aucun raccourci psychologique, aucune facilité. Il n’y a non plus aucun jugement de la part de l’auteur envers des personnages qui ont longtemps abdiqué et qui ne parviennent plus à se révolter. Il n’y a ni pathos, ni condamnation. Simplement la beauté d’une langue au service d’une exploration humaine. Là est toute la réussite de ce roman profondément émouvant.

Et puis, il y a la qualité indéniable de l’écriture, à rebours de l’idée reçue qui voudrait qu’un roman noir serait forcément écrit avec les pieds. Ici, c’est tout le contraire. C’est littéraire, c’est fort, c’est enlevé. La description des bois et de sa rivière meurtrière est magistrale. L’immersion dans l’esprit de personnages blessés est juste.

« Aucun bruit ne parvenait d’en bas, sinon celui du vent, dont la fraîcheur atteignait mes pieds nus. En allumant le plafonnier du salon, j’ai constaté que les rideaux ondulaient lentement devant la fenêtre, ainsi qu’ils le font par les belles nuits d’été où l’air est trop doux pour qu’on imagine quelque spectre coulant son corps immatériel dans les plis du tissus, entre nuit et lumière. »

Et, tout le long du livre, cette question lancinante : comment faire le deuil d’une personne disparue (au sens propre), d’une personne qui était au centre de toute notre vie ? Et en écho à cette première question : pourquoi faudrait-il faire ce deuil ? Pour ne pas sombrer à son tour ? Parce qu’il faut continuer à vivre ? A quoi bon, puisque tout nous ramène au disparu. Tout nous pousse à, chaque jour, recommencer son deuil à zéro.

Alexandre

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Andrée A. Michaud

éditions Rivages / Noir

363 pages – 2018

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Chroniqueur

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