Les Editions de la Baconnière publient Confession téméraire, composée de nouvelles et du recueil de proses poétiques Les saisons d’Anita Pittoni, artiste italienne avant-gardiste.
Cette femme talentueuse a marqué les Arts textiles durant la période d’après guerre puis le monde de la Littérature suite à la Seconde Guerre Mondiale. Son œuvre est sensiblement tournée vers Trieste, ville qui la verra naître, grandir, créer et mourir et elle y a par ailleurs fondé Lo Zibaldone, une maison d’édition visant à décrire «les contours complexes de Trieste et de sa région».
En quatrième de couverture du livre, on retrouve même une citation empruntée au Manifeste du Zibaldone qui met en lumière le style et la pensée d’Anita Pittoni:
«La patrie, c’est la terre où l’on parle sa langue, puis c’est la région où l’on est, puis c’est la ville où l’on est né, puis c’est la maison où l’on vit, puis c’est la pièce où l’on travaille, qui est la plus grande de nos patries, que l’on transporte avec nous dans le monde entier, l’endroit où l’on élit sa patrie: la pièce la plus tranquille, où l’on travaille le mieux.»
A la lecture de ce recueil de nouvelles entièrement écrites à la première personne, on est bercé par la douceur teintée d’inquiétude émanant des pages: en effet, l’autrice évoque des bribes de souvenirs et de quotidien à fleur de peau. Souvent, un glissement s’opère et une touche de fantastique, de chimérique s’y mélange, donnant ainsi lieu à un décalage subtilement amené qui donne l’impression d’un rêve éveillé.
«Je ne suis pas un être, je suis simplement une force qui s’est incarnée, qui s’est concrétisée dans un corps. D’ailleurs, je ne sens pas mon corps physique, ou plutôt je le sens comme un accident du moment. Donc, tout ce qui en dérive est aussi un accident du moment. Voilà ce qu’est ma vie, dans cet accident qu’est la vie que je subis à présent. Les songes aussi peuvent s’emparer de moi, maintenant que je suis dans cette vie, mais quelque soit la profondeur avec laquelle je ressens les choses, tout reste superficiel, comme ma vie elle-même. Tel est mon tourment.
Il n’y a qu’une mystification dont je n’ai pas été capable : demander pardon, c’est là mon point faible, la preuve que je ne suis pas un être mais une force. Ah ! Si seulement j’éprouvais le besoin de demander pardon ! Alors là, oui, je serai moi aussi être mortel et je pourrais espérer le repos de la mort.»
L’emploi d’allégories dans cet autoportrait onirique et nuancé rappelle le style sensible du célèbre fabuliste italien Italo Calvino (Marcovaldo, Le Baron perché), on y retrouve un penchant pour l’imaginaire comme outil d’écriture du réel bien que plus agité et auto-contestataire chez Anita Pittoni.
En effet, le doute et la remise en question servent souvent de toile de fond à ses textes, comme si elle-même ne savait plus distinguer le réel de l’irrationnel dans ces aventures journalières. Il y est question d’ascension ou de traque, de quête et de déambulation sous toutes ses formes, de manière aussi bien verticale (rapport entre le corps et l’esprit) qu’horizontal (rapport entre l’humain et le temps, l’existence).
Dans Confession téméraire, l’autrice italienne évoque également son fort attrait pour la pensée de Nietzsche, philosophe naturaliste connu pour ses travaux autour de la réévaluation des valeurs et les relations humaines entre l’instinct et l’affect notamment. Cela apporte un niveau de lecture supplémentaire à ce texte sensible où elle se dévoile, retrace l’histoire de sa pensée et la porté des choses physiques et invisibles sur son quotidien et sa temporalité.
« Je me sentis encouragée, je lui souris et m’exclamai : « Ah, Friedrich, veux-tu vraiment t’en aller, me quitter moi aussi ? » Et lui : «Viens vite me trouver, là-haut… » lançait-il, et il fit un ample geste du bras, la main vers le ciel. «C’est bien, dis-je, je viendrai», et je pensais : «Je fais partie de cette génération qui a appris à vivre en dansant au bord de l’abîme. Peut-être parce que je suis une femme… » Je regardais l’index suivre dans l’air ce bord, lentement, méticuleusement et, quand la main revint vers moi, à son point de départ, je levai les yeux pour cueillir dans les siens une lueur d’approbation : il n’était plus là. Il me restait son invitation et ma promesse.»
Ce recueil est une très belle lecture dans laquelle on s’engouffre sans vouloir en sortir, qui permet de découvrir l’univers onirique, agité et intime d’Anita Pittoni. Chaque page est inspirante, équilibrée et incite à réfléchir même une fois le livre refermé.
Edition La Baconnière
Traduit de l’italien par Marie Périer & Valérie Barranger
216 pages
Caroline