Lorsque l’on évoque le célèbre hymne de l’Internationale, immédiatement les premiers vers déferlent:
«Debout! les damnés de la terre!
Debout! les forçats de la faim!
La raison tonne en son cratère,
C’est l’éruption de la fin.
Du passé faisons table rase,
Foule esclave, debout! debout!
Le monde va changer de base:
Nous ne sommes rien, soyons tout!»
Chant planétaire du mouvement ouvrier écrit en 1871 par Eugène Pottier lors de la répression de la Commune, il possède une histoire mouvementée aux acteurs côtoyants tout aussi bien la misère que le grandiose.
La journaliste et autrice Élise Thiébaut (qui a écrit entre autre Les règles…quelle aventure illustré par Mirion Malle) tombe des nues lorsqu’elle apprend que l’Internationale n’est pas dans le domaine public… Et donc non libre de droit.
Suite à l’enterrement d’Henri Malberg en 2017, elle poste en effet une vidéo où les gens présents aux funérailles entonnent la célèbre musique. En à peine quelque heures, elle reçoit un message de la part de Facebook l’avertissant que cette publication a été retirée car l’air que l’on y entend appartient à quelqu’un. Grossière erreur? Improbable quiproquo? On peut se poser la question, surtout en vue de l’opposition entre un chant communiste, révolutionnaire et une plateforme où tous les droits privés sont exploités.
C’est ainsi que débute cette aventure historique où l’autrice remonte le fil de l’Internationale, de sa création sous forme de poème par Monsieur Pottier à sa composition musicale par Pierre Degeyter en 1888, soit à presque vingt années d’intervalle. Dans sa quête, elle retrace les vies mouvementées de grands noms, à cette époque de changements et de révolutions.
N’écartant aucun détail et ne se laissant pas abattre par la complexité de la tâche, elle nous fait voyager dans le temps et à travers le monde, des Etats-Unis à l’URSS en passant bien sûr par la France.
Elle regroupe avec soin la vie de l’auteur tour à tour héros de la Commune puis exilé pour échapper à la mort, et avec elle celle de mouvements hétéroclites et marquants comme la Société des buveurs d’eau, les goguettes ou encore les tables dansantes.
S’en suit alors la mise en musique de l’Internationale, par le compositeur Monsieur Degeyter: là encore, Élise Thiébaut n’omet rien et retranscrit la renaissance du chant révolutionnaire dans un pays clivé par l’affaire Dreyfus notamment. Entonné à différentes occasions, il gagne en popularité mais l’origine de sa composition musicale fait éclater la famille Degeyter: est-ce bien Pierre qui en est l’auteur? Ou bien son frère Adolphe?
Ainsi, Les fantômes de l’Internationale lève le voile sur une grande histoire, contée avec talent par la plume enlevée et incisive de la journaliste. Toutes les luttes et les mouvements tourbillonnent, et de nombreux protagonistes célèbres tels que Rosa Luxemburg, Lénine ou Jean Jaurès ponctuent le récit. Partant d’une expérience personnelle, le cheminement prend alors un sens historique et communautaire rehaussé par les illustrations puissantes de Baudouin.
En effet, ce livre est composée de deux parties: la première est le poème dans son intégralité et illustré par l’artiste, la seconde l’enquête menée par Élise Thiébaut. Le trait du dessinateur, à la fois charbonneux et très fin, donne littéralement vie à l’hymne ouvrier. Les visages sont incroyablement expressifs et les compositions inventives et touchantes, ponctuant avec une vibrante délicatesse ce bel album, cet hommage écrit et peint en plus d’être chanté.
Éditions La ville brûle
104 pages
Caroline