La poétesse féministe américaine Jan Clausen rédige en 1982 Un mouvement de poétesses: Pensée sur la poésie et le féminisme. A travers cet essais écrit sur ce genre littéraire à contre-courant, hors des sentiers battus depuis la nuit des temps par les poétes masculins, elle s’interroge sur son évolution aux Etats-Unis.
En remontant le fil de son apparition, de sa croissance et de son impact, l’autrice en dissèque par ailleurs les difficultés.
Considérée comme un champ des possibles incroyable, la poésie féministe a permis une lutte faite avec des mots, a donné aux femmes la possibilité de se faire entendre et de s’exprimer, notamment au sujet du patriarcat. Puis de ce mouvement de nouvelles tendances ont éclos, permettant aux lesbiennes et aux femmes de couleur de se dégager du féminisme blanc cisgenre et donc d’écrire sur les oppressions croisées.
“On peut voir également une expression apparemment très différente du désir féministe d’une poésie utile dans l’accent mis par certaines poétesses sur la transformation du langage comme une clé pour la transformation de la réalité même. Olga Broumas écrit par exemple :
Je suis une femme engagée dans
une action politique
de translittération, méthodologie
d’un esprit
stupéfié par les
glissements de sens soudainement possibles–pour lesquels
telles des amnésiques
dans une pièce en feu, il nous faut
trouver les mots
ou brûler.”
Cependant, Jan Clausen s’interroge aussi sur la nature de cette poésie, sur les codes qui la régentent intrinsèquement, sur la faiblesse du manque d’auto-critique à son égard qui ne lui permette pas de s’accroitre comme un genre plus global et adopté par les moeurs depuis des siècles. Elle porte un regard clair et objectif sur la difficulté des poétesses à sortir de carcans et d’injonctions risquant d’essouffler leurs paroles. Des contrariétés de l’auto-publication et des réactions frileuses des éditeurs vis-à-vis de poésie féministe (encore plus lorsqu’elle est lesbienne). Du manque de visibilité certain qui risque de décourager les plus engagées à écrire en prose plutôt qu’en vers, et à se tourner vers la fiction par soucis de visibilité ou bien économique.
“Mais les poétesse féministe ont également tendance à endosser des rôles de théoriciennes et de porte-paroles politiques. Et la confusion entretenue entre importance littéraire et leadership politique a parfois signifier que la théorie et la pratique féministe ont dévié vers un trop grand accent mis sur la transformation du langage, et trop peu d’importance accordée aux autres modes de transformation que doit nécessairement utiliser un mouvement politique qui espère réussir dans le monde matériel.”
Les années 70-80 (alors que de nombreuses poétesses sont également activistes, militantes féministes et théoriciennes) marque le début de ce genre littéraire, et c’est donc en plein milieu de ces écrits bouillonnants que Jan Clausen rédige cet essais, avec déjà une prise de conscience, des questionnements et un recul certains.
“Je crois que nous pourrions et devrions plutôt faire une chose : commencer à prendre la poésie plus au sérieux. Parce qu’en tant que mouvement, nous sommes bien trop habituées à supposer que la poésie et les poétesses seront là quand nous le désirerons, qu’importe le temps pendant lequel elles auront été ignorées, considérées comme faisant partie du décor, utilisées de travers. Après tout, la poésie n’est-elle pas une forme de prophétie, et les prophéte.esses ne sont-iels pas réputé.es pour leur talent avec leurs dents des déserts inhospitaliers et autres environnements désolés?”
La seconde partie du livre Je transporte des explosifs on les appelle des mots forme une anthologie bilingue de poèmes écrits entre 1969 et aujourd’hui. Les 24 poétesses qui y sont regroupées sont aussi bien militantes de renom qu’autrices presque inconnues, mais leurs mots et leurs idées résonnent comme une seule voie, une unique résistance.
Kay Lindsey
Poème
Je ne suis pas de ces personnes qui croient
qu’un acte de bravoure, pour une femme
doit prendre place en elle.
Mon utérus est conservé dans la naphtaline
Et j’entends dire que l’hiver sera doux.
En tout cas j’ai accouché deux fois
Et mon corps mérite une médaille pour ça
Mais je n’en ai pas eu.
Avant tout parce qu’ils pensaient
Que je ne faisais que répondre à l’appel de la nature.
Mais depuis que la révolution a besoin de troupes
La maternité a acquis une nouvelle place
Cinq pas derrière la virilité.
Et moi qui pensais que s’asseoir à l’arrière du bus
C’était fini depuis Martin Luther King.
Cherrie Moraga
La couleur d’une nation
Il pensait que le désert était incolore,
aveuglés par son plein midi éclats.
Ils ne voyaient aucune nuance,
Ses habitant.es originel.les également invisibles,
la marque de leurs pas camouflée par l’empreinte poussiéreuse
des roues des wagons et des traces de sabots.
Elle aussi a eu son nom écrit, là, dans la poussière.
L’avez-vous vue ? Celle qui écrivait sans lettre
l’image d’une planète qui disparaît ?
Elle savait part avance ce que cela signifierait, leur arrivée.
Elle nous voyait, son pueblo, une poire cactus
qui saignait dans la chaleur.
Robin Morgan
Monstres
Douce révolution, comme j’aimerais que les larmes de femmes qui roulent en silence sur mon visage en cet instant soit chacune une balle, que chaque mot que j’écris, chaque caractère de ma machine à écrire soient des balles
pour tuer ce qui dans les hommes a bâti cet empire,
colonisé mon corps même,
puis nommer la colonie monstre.
Editions Cambourakis
Collection Sorcières
217 pages
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Oliv Zuretti & Meghan McNealy, Charlotte Blanchard, Gerty Dambury, Collectif Cases Rebelles
Caroline