Quatrième roman de Patrice Gain, Le sourire du scorpion est une plongée dans les eaux noires du deuil et de la solitude.
Dés les premières lignes, la passion de l’auteur pour les grands espaces et la montagne nous frappe, grâce aux paysages détaillés du canyon de la Tara, en plein coeur du Monténégro.
Tom et sa soeur jumelle Luna se lancent dans la descente de rapides aux côtés de leurs parents et d’un nouvel ami à eux; Goran. A bords de leur raft, le groupe profite du beau temps qui les accompagne tout d’abord, naviguant tranquillement à leur propre cadence insouciante. Mais le ciel devient vite orageux et avec lui la rivière change de visage, devient capricieuse, tumultueuse et redoutable. La tension monte aux fil des minutes et les protagonistes sentent que la partie de plaisir vire au cauchemar. Voilà que les caprices de la nature rendent l’aventure éreintante, les menant jusqu’à une peur sourde, lancinante au rythme des eaux.
Le glissement devient incontrôlable et toute l’harmonie présente et passé vole en éclat, menant le groupe à un point de rupture irréversible. Le canyon de la Tara, lieu paradisiaque incitant à la paix et au bonheur devient la scène d’une disparition terrible, destructrice, dont on va suivre l’impact sur le protagoniste Tom et les membres de sa famille, de son clan.
“Sur un tertre chauve, une horde de jeunes chevaux se chamaillait. Il hennissaient douloureusement, se cabraient, se balançaient des ruades dans les côtes sous le regard de leurs aînés qui semblaient marquer leur désapprobation en secouant leurs crinières de zèbre. Leurs ventres blancs attrapaient merveilleusement la lumière. Luna et moi les observions tapis derrière un amas rocheux qui nous protégeait du vent. Nous nous enivrions des effluves fauves des chevaux roulés dans les herbes sèches par les turbulences du vent, des paysages que l’on peut regarder jusqu’à l’horizon sans que rien d’humain ne vienne troubler la vision.”
Patrice Gain mène son roman de main de maitre, aussi bien au niveau de l’arborescence familiale de ses protagonistes et leur mode de vie que les lieux sauvages et isolés dans lesquels ils évoluent. Ainsi, ces deux thématiques se font écho et s’entremêlent sous une plume poétique qui parvient à sonder les turpitudes humaines tout en rendant hommage à la puissante nature.
Le choix de la narration à la première personne crée un sentiment d’intimité fort, permettant de ressentir la détresse et la solitude de l’adolescent qui voit ses repères voler en éclats. On découvre les liens très forts existant entre lui et sa soeur Luna, leur caractère diamétralement opposés et ainsi leur façon respective de se reconstruire après un choc aussi violent.
De plus, la famille de Tom, nomade et vivant aux fils des saisons et des routes est habituée à se laisser porter par ses envies tout en étant extrêmement soudée. Ce mode de vie itinérant a toujours fait leur force et leur bonheur, cependant voilà qu’il se transforme en défit, en faiblesse. En se détachant des habitudes conventionnelles de la vie en communauté sédentaire, ils découvrent sans cesse de nouveaux paysages et de nouvelles personnes mais ils sont aussi plus vulnérables et exposés.
Il se pourrait donc que le deuil ne soit pas le seul élément à venir parasiter leurs vies: en proie à leur isolement ils deviennent cible facile.
Avec Le sourire du scorpion, Patrice Gain écrit un roman noir poétique et magnétique qui parle de survit, où le récit personnelle est percuté de plein fouet par l’Histoire inarrêtable et parfois monstrueuse.
«[…] Elle ne comprenait pas pourquoi je lui en voulais autant d’avoir refait sa vie. Je n’aime pas ce terme. On ne refait pas sa vie, on la poursuit, avec d’autres horizons parfois, d’autres personnes souvent, on n’efface pas le passé. Une vie n’est que l’empilement de tout un fatras de choses, bonnes ou mauvaises, goûteuses ou fades, et la dernière que l’on pose sur le tas fait s’écrouler l’ensemble et elle s’arrête là.»
Éditions Le mot et le reste
206 pages
Caroline