Premier projet édité de Gauvain Manhattan, Peste est une bande-dessinée comme je n’en avais encore jamais lue. Connaissant déjà le travail de l’auteur via son projet Canevas Fatal en collaboration avec de jeunes artistes tous autant bourrés de talent les uns que les autres (Marie Boiseau, Karensac, Cy, Marie Spénale…) visant à déringardisé le concept poussiéreux du canevas, et visionnant l’avancée de ses planches via son Instagram, j’attendais avec impatience la sortie de ce projet fou et plus qu’attrayant.
Le résultat est au dessus de toute espérance; déjà, le graphisme est bluffant. Tout a été réalisé aux crayons de couleurs, majoritairement en bichromie rouge et noir, demandant ainsi des heures de travail minutieux. Par ailleurs, les exceptions colorimétriques incorporant les teintes froides bleues et vertes ont une réelles significations dans la conception de l’histoire, et non pas un simple enjeu esthétique.
Quand au scénario, il est à la hauteur du dessin, et c’est peu dire! Il est en effet tout aussi original, inventif et plein de très bonnes idées!
Dans le royaume de Bordevalain, on prend la mode très au sérieux. Et pour cause, celle-ci est devenue le critère sociale le plus important et est même l’économie qui fait vivre le pays. Les armures sont forgées pour être à la fois harmonieuses et solides, les capes sont issues de fourrures aux propriétés exceptionnelles leur permettant de bloquer les coups d’épées, le tout est couture. Les peaux proviennent d’animaux gigantesques peuplant l’épaisse forêt entourant le domaine, dont la chasse est à présent réglementée par un sage roi, d’après cet arrêté: “N’a le droit d’être chassé que l’individu animal ayant témoigné une quelconque agressivité physique envers l’être humain“.
Appoline, l’héroïne, est une jeune et farouche chasseuse qui piste ses proies dans le respect total des règles de l’art, connaissant chaque caractéristique de chaque espèce, capable de se mesurer à la Panthère Pardus et de déjouer les attaques d’un Samarus Magnus. Elle rapporte son butin pour que ses amis Olivier le styliste et Maschine la forgerone puissent créer des pièces uniques, au top de la tendance. Ensemble, ils tiennent une petite maison de couture du nom de Peste et prépare leur prochaine collection au style sauvage, qui se veut “déstructurée, asymétrique, irrégulière pour un style dynamique et agressif”.
Cependant, des dangers assombrissent leur destin, ainsi que celui du royaume tout entier. De terribles secrets liés au braconnage se mêlent à un régicide et une usurpation de la couronne, sans compter qu’une créature légendaire enfouie sous terre depuis des siècles menace de se réveiller pour engloutir ce monde dans des éclats de saphir et d’émeraude.
Gauvain Manhattan a opté pour une écriture inclusive non genrée pour cette épopée féministe, sauvage au style heroic fantasy (et bien sûr fashion). Les personnages ne sont pas enfermés dans des rôles stéréotypés selon leur sexe: les femmes peuvent avoir des métiers physiques, dangereux, politiques et les hommes des activités liées à la création et à la couture. La puissance ou l’émotivité n’ont pas de sexe.
Le message véhiculé autour de la chasse est aussi très sensible et sensé: le braconnage est décrit comme horrible, immoral, et les protagonistes sont conscients de leur rôle dans l’éradication des espèces et prennent des mesures adéquates pour retrouver un juste équilibre. Malheureusement, certains restent fermés à cela et ne pensent qu’au profit, ne considérant les animaux comme de simples ressources exploitables. Peste est donc porteuse de plusieurs messages importants et d’actualités, pourtant dans une temporalité plus ancienne à la notre.
Voici une bande-dessinée puissante, à la prouesse graphique et au scénario original et réfléchi. On y trouve des clins d’oeil bluffants, dont un Draw this in your style juste incroyable du Sacre de Napoléon de Jacques-Louis David ou bien le portrait de Marie de Médicis de Frans Pourbus le jeune, versions Gauvain Manhattan, ne laissait aucun doute quant à son talent.
Sûrement l’un des ouvrages immanquables de cette année (et pas que), Peste est aussi sauvage que belle.
Editions Vide Cocagne
256 pages
Caroline