Pendant plusieurs semaines, Perrine Le Querrec a écouté des dizaines de femmes raconter les violences conjugales qu’elles ont vécues. Leur quotidien sous les coups, les insultes, l’humiliation et le mépris. Leurs vies face au silence des autres, aux regards qui se détournent et aux oreilles qui ne veulent pas écouter.
149 femmes sont mortes en France sous les coups de leur conjoint et ex-conjoint en 2019, mais cette brutalité n’est pas la seule cause de leur mort, l’omission de leur situation et de leur détresse les a également tuées.
” Mot après mot elles se sont redressées. Leur courage, leur joie de vivre, leur force, c’est cela qui a mené l’écriture ; notre besoin commun de briser le silence et l’indifférence autour des violences faites aux femmes, violences conjugales, sexuelles, psychologiques, violences humaines, violences de la société, la violence ses nombreux visages, c’est cela que vous allez lire. “
Perrine Le Querrec a écrit Rouge Pute en retranscrivant les mots exactes des femmes qui ont confié ces cauchemars vécus, avec la volonté de conserver un langage universel issu de situations propres et intimes pour qu’une prise de conscience nécéssaire et urgente se fasse enfin.
Ses poèmes en proses sont brefs, percutants, violents comme les coups qui pleuvent et les insultent qui fusent. Ils font mal, ces écrits condensés de sensations brûlantes : la culpabilité, la peur permanente, la honte, l’indicible heurtent et marquent.
On y entend les voix de ces héroïnes qui ont traversé un enfer caché derrière une simple porte de pallier, une torture mitoyenne aux murs de nos appartements et de nos maisons. Lorsque l’écrivaine les a rencontrées à La Chaloupe, un centre social de quartier de la ville de Louviers, elle a noirci des tonnes de pages des témoignages de ces rescapées, de ces femmes qui ont réussi à se reconstruire tout en gardant un trauma indélébile.
Les portes
Panique des portes fermées, panique des portes ouvertes
Elle ne te protégerons pas les portes si il a décidé de te défoncer elle ne te protégera pas la porte fermée la porte défoncée
Aucune porte ne résiste aucune porte ne m’a protégée aucune porte assez solide assez épaisse
Aucune porte, jamais
Et la porte d’entrée si elle est ouverte ou si elle ne s’ouvre pas la porte d’entrée si elle est bloquée si je ne peux pas m’échapper la porte d’entrée si elle reste fermée et toi traquée et toi plaquée et toi
Dans le nouvel appartement les portes je les ai toutes dégondées
Sauf la porte d’entrée, celle-ci est bien verrouillé
Conjugaison
(se taire)
Je me tais
Ta gueule !
Il me tue
Nous nous taisons
Vous, vous vous taisez
Ils assassinent
On sent la traque incessante dans laquelle sont plongées les femmes victimes de violences physiques, verbales et sexuelles : c’est comme une chasse, tous les jours, où elles font attention à leurs moindres faits et gestes, tentent de se fondre dans le décor de leurs appartements-prisons, de se plier à tout pour ne pas éveiller leur bourreau. Ce sont des témoignages de survie.
Entendre, archiver et retranscrire ces histoires a été une épreuve pour Perrine Le Querrec, qui a réussi à en condenser les sensations pour les retranscrire dans ce livre.
Raconter, écouter, écrire, lire, voici la chaine essentielle de transmission qui permet de donner la parole à ces situations et ces sentiments intériorisés et enfouis pour briser le tabou existant et mortel autour des violences conjugales. Car les jugements extérieurs que rencontrent les victimes sont aussi méprisants et brutaux que les violences qu’elles essuient dans leurs intimités et participent grandement au sentiment de culpabilité qu’elles ressentent, à leur isolement et à leur perte de repère
Rouge Pute est un livre nécéssaire, qui oblige à ouvrir les yeux et à regarder en face un mal connu mais tu et ignoré. C’est une lecture puissante et percutante, à travers laquelle Perrine Le Querrec nous met face-à-face avec ces femmes et leurs histoires. Pour empêcher qu’elles ne se répètent.
” Nous autres, femmes, fille, enfants, être humain, nous déposons une couronne sur ta tête ”
(La couronne)
Éditions La contre allée
88 pages
Caroline